mardi 29 novembre 2011

QUI A BOUSILLÉ MARCEL CERDAN ?





LETTRES DE CAPRI



Mario Soldati est-il meilleur metteur en scène qu’écrivain ? Je n’en sais rien, je n’ai vu aucun de ses films et j’ai lu un seul de ses romans Lettres de Capri.
Nous sommes six, au moins, à avoir lu ces Lettres de Capri, M. Verdier, magasinier, l’a tenu entre ses mains du 12 mars au 25 mars 1958, M. Ménard, du contentieux, l’a gardé huit jours en août 1958, Mme Moriaux, du secrétariat, l’a lu, du 12 décembre au 23 décembre 1958, puis le livre a été abandonné, fermé, sur une étagère avec une étiquette dans le dos, il a attendu une dizaine d’années jusqu’à ce que Mme Jankowski du P.I.B (Produit Intérieur Brut ?) passe six mois dessus, du 31 mars au 8 septembre 1967, et le conseille à Mme Baconnier du P.A (Parti Anarchiste ?) qui l’a avalé en quelques jours, du 29 septembre au 13 octobre 1967. Voilà pour l’existence prouvée du lectorat de Mario Soldati en France, encore qu’une inscription sur une fiche ne signifie pas lecture.
Ensuite plus rien, le dernier lecteur identifié plus de quarante ans après étant moi, mais je ne suis pas inscrit sur la petite fiche agrafée sur la page de garde du livre (avec un délicieux coin en cuivre en haut à droite et un non moins en bas à gauche). La bibliothèque du Comité d’entreprise A.M. (Affaires Maritimes ?), doublement sise au 9, rue Royale et au 8, rue Boissy d’Anglas a dû sombrer aux premiers jours de mai 1968, ou bien l’entreprise A.M. a-t-elle alors interdit à son personnel de lire pour cause d’insubordination révolutionnaire. Sur ces entrefaites quelque bouquiniste peu scrupuleux y a mis la main dessus (sur la bibliothèque) et un idolâtre des livres, je veux parler de moi, receleur sans morale dès qu’il s’agit de lire, a un jour, lors d’enchères internautiques, acquis ses restes auprès de lui (une quarantaine de volumes tout de même, tous reliés) pour un prix dérisoire, l’ensemble ne dépassant pas cinq euros, encore que le vendeur (habitant dans la région parisienne) m’ait menacé un temps de ne pas m’envoyer ces livres, m’obligeant à aller en prendre possession chez lui, ce qui de mes lointaines Pyrénées, dites Orientales (je trouve à mon pays, c’est vrai, un parfum d’Orient, mon village certaines nuits, vu de mon lit, possède des allures de Byzance et l’Agly en crue est épaisse et noire comme le Bosphore, quant à moi dès que je chausse mes babouches...), exigence qui m’aurait contraint à parcourir aller-retour près de deux mille kilomètres, et lancé dans des frais sans proportion aucune avec la qualité des auteurs représentés dans cette bibliothèque puisque, après l’achat, je m’aperçus hélas qu’elle fourmillait de Paul Guth, de Vicki Baum, de Daninos, de Pearl Buck (quelqu’un, passé avant moi, avait dû écrémer le lot, et à l’instant même je m’aperçois de la présence d’un Daniel Rops, avec Nocturnes, mon Dieu que sera-ce ?), sauvés tout de même du désastre par un Faulkner, un Moravia, un Mandiargues à Motocyclette et une inespérée Europe buissonnière de Blondin.
Ne sachant plus où j’en suis dans cette présentation, je dis ceci, j’ai effectué mon voyage de noces à Capri, comme tout le monde, là-bas j’ai pensé chaque jour à Tibère et aussi à ma jeune femme, il faut bien le dire, mettant mes pas dans ses pas (ceux de Tibère) et tournant très vite en rond, car une île n’est qu’une île et un voyage fut-il de noces, n’est qu’un voyage, mais sans doute ceci explique-t-il que le premier livre que je décrochai, de cette bibliothèque naufragée, fut Les lettres de Capri.
Je reviens à ma question initiale à laquelle je n’ai toujours pas de réponse d’autant qu’ici, l’auteur, le narrateur et le cinéaste ne font qu’un seul individu, qu’il s’appelle Mario Soldati, qu’il joue son propre rôle et qu’il recueille la confession d’un ami, un Américain, Harvey (je me demande s’il n’y a pas plus d’Américains en Italie que d’Italiens aux U.S.A), que Soldati la reçoit comme le scénario possible d’un double adultère puisque Harvey trompe sa femme Jane (une Américaine) avec Dora (une Italienne) et qu’il s’aperçoit, au moment où il croit lui-même être démasqué, que Jane le trompe avec Aldo (un Italien). Ce n’est pas Anna Karénine mais ça se lit bien. Lorsque Soldati ne sait plus comment s’en sortir, il fait tomber un avion, celui qui ramène Jane aux U.S.A, chez ses parents, ça permet une fin plus rapide mais crée des dommages collatéraux :
Mme Jane ? dit alors Borruso. Vous ne savez donc pas qu’elle est morte ? Elle est morte dans un accident d’avion. Il y a deux ans. Vous vous rappelez ? Cet avion Paris-New York, tombé du côté des Açores, vers la fin de Juillet. Il y avait aussi à bord ce champion de boxe…
L’écrivain n’en dit pas plus, moi je sais. En bousillant Jane, cet animal vient, par la même occasion, de dégommer Marcel Cerdan, c’est malin. Celui-ci, en 1949, s’est aplati aux Açores allant disputer au Madison Square Garden à New York une revanche du championnat du monde contre Jake La Motta qui l’avait battu à Détroit, l’année précédente, Marcel était alors en pleine histoire d’amour avec Edith Piaf, il est enterré dans un cimetière perpignanais (allez savoir pourquoi), je me demande si je ne suis pas en train de papillonner, moi qui déteste la boxe et les avions.
Ce qui est bien rendu aussi dans ces Lettres de Capri (Jane a envoyé des lettres de Capri à son amant) c’est cette Italie de l’après-guerre où on circule en Jeep, au milieu des destructions, des cris d’enfants et du linge aux fenêtres, dans une ambiance de résurrection, où les jeunes femmes sont tendues comme des cordes d’arc de compétition, c’est bien simple ces Italiennes des Lettres de Capri, je me voyais les coller contre le rideau de fer d’un garage pour motocyclettes et les mains plaquées à leur jupe serrée, le nez dans leur corsage rempli, je les caressais, je les sentais, je les pressais, je les palpais, je les poussais, je les écrasais, dans un tremblement métallique (le rideau de fer, je veux dire) jusqu’à me réveiller en sueur la nuit, mèche en bataille, tricot de peau déchiqueté, œil de velours, muscles saillants comme si j’étais un héros du cinéma réaliste ayant eu à faire avec une Sylvana Mangano, une Rossana Podesta, ou une Sophia Loren. La littérature c’est ça !
Bon Mario Soldati a réalisé une trentaine de films, je n’en ai vu aucun, il a écrit une quinzaine de livres, j’en ai lu un, voilà une vie bien remplie.


http://www.amazon.fr/Requiem-pour-Mignon-Henri-Lhéritier/dp/2849741310/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1322732599&

mercredi 23 novembre 2011

LA RENTE PINAY

LE BOTTIN DE LA COMMÈRE



J’ai entre les mains un livre publié en 1958, par Gallimard, titré Le Bottin de la Commère, sorte de guide parisien, mi-sérieux, mi-rigolard  recensant les lieux où, à cette époque, il fallait boire, manger, ou danser. Une dénommée Carmen Tessier, sans doute la journaliste people de l’époque, est responsable de cet ouvrage qui consiste, pour l’essentiel, à décliner la clientèle politique ou artistique de ces endroits à la mode et, pour l’accessoire, à donner les recettes des plats qui y sont servis.
Le Bottin de la Commère (sans doute un jeu de mots sur Les Potins de la Commère) débute par quelques questions posées au Tout Paris, la mode des enquêtes ne servant à rien n’est donc pas une invention des magazines d’aujourd’hui, être quelqu’un en vue consiste à répondre des stupidités aux questions stupides qu’on lui pose, ici, en l’occurrence  : Que préférez-vous : les petits bistrots ou les grands restaurants ? Préférez-vous le caviar ou le bœuf miroton ? Aimez-vous la sole Dugléré ? Questions importantes auxquelles répondent des gens aussi importants que Maurice Druon, Jean Nohain, Line Renaud (mon Dieu, en 1958 ! était-ce la même ?), l’incontournable Sacha Guitry, Jean Cocteau et son pote Marais, le fringant Chaban-Delmas, et de nombreux autres, d’une manière qui se veut la plus spirituelle possible et qui ne l’est jamais (au sein de ce peuple qui se prétend le plus spirituel du monde, on se prend à rêver à l’humour anglais), le seul qui tire son épingle du jeu étant le rugissant Pierre Brasseur, aussi original à la ville qu’à la scène.
Lorsqu’on passe aux grands restaurants, bistros parisiens, brasseries, on découvre, les goûts particuliers des uns et des autres, Pierre Benoit aime, paraît-il, la moutarde de Brive de couleur violette, Jacques Chardonne lorsqu’il va chez Calvet, 165, boulevard Saint-Germain, se tape à chaque fois, heureux homme, une bouteille de Château d’Yquem, on découvre que Guy Béart est ingénieur atomiste et mille autres choses encore et notamment que la gastronomie parisienne possède une rente, Pinay, un type qui a fréquenté les tables de la capitale avec autant d’assiduité que les postes ministériels, il n’existe pas un seul restaurant où le patron ne se vante de la présence, sur ses banquettes de cuir ou ses fauteuils Louis XV, du derrière politique le plus célèbre de la IVème république, dire que ce type est mort à plus de cents ans, on imagine le nombre de poulardes qui sont passées à la casserole à cause de lui. Le prince de Galles qui ne crachait pas non plus sur les poulardes (je n’en mets pas ma main au feu) affectionnait aussi les canards, il a bouffé en 1890 le canard n°328 de la Tour d’Argent, sa descendante la princesse Elisabeth a avalé, en 1948, le n° 185.397 (quelle hécatombe !) tandis que le duc d’Edimbourg, en face d’elle, assassinait dans des flots d’hémoglobine, ce jour-là, dans cet abattoir avicole, le cent quatre vingt cinq mille trois cent quatre vingt dix-huitième canard au sang (mazette, un canard chacun !). Au même endroit, face à Notre Dame, Minou Drouet, sorte de poétesse géniale, ne craignit pas un jour d’inscrire sur le livre d’or, ce poème immortel :

Invités de la Tour d’Argent,
Poissons dansants
Qu’un aquarium de cristal
Cerne d’un reptile fluide,
Oiseaux en cage
Qui veulent cueillir cette fleur de feu
Notre Dame.

Ce qui nous ôtera désormais toutes nos inquiétudes au sujet des banalités que nous inscrivons nous-mêmes, lorsqu’on nous tend un livre d’or, parler de poissons, d’oiseaux, de reptiles, d’aquarium, de cage à oiseaux, au sujet d’un restaurant suffit à vous faire une notoriété.
Quelque chose me ravit, raison essentielle de mon commentaire sur ce livre qui est à la littérature ce qu’une locomotive à vapeur est à un magasin de dessous féminins, sidérés que nous sommes aujourd’hui devant d’immenses assiettes au contenu expressionniste, nous demandant si on va nous inoculer à l’aide de pailles ou de suppositoires des machins informes comme :
une asperge verte sauvage déstructurée, fruits de la passion, écume romarin,
des beignets des sous-bois cuits à l’azote,
des nouilles disparaissantes (sic), sorbet cardamine,
du Tomato croustillant aux pépins de citrouille, air glacé au parmesan,
nous pouvons redécouvrir ici les vertus de la simplicité, au moins littéraire, grâce à des plats sobrement appelés, gras-double au vieux marc, loup grillé à la farigoulette, plat de côte à la quiche au lard, poulet au Montrachet, matelote d’anguilles, canard aux olives, entrecôte à la moelle, bœuf gros sel, rognons grillés, avec ce sentiment de relire du Rabelais après avoir douloureusement ingurgité du Maurice Blanchot.
Voilà qui décidément nous réchauffe les tripes, tripes que l’on sert au Pharamond, 24, rue de la Grande Truanderie, en présence d’Yves Saint Laurent, d’Armand Salacrou, de Bourvil et celle, inévitable, du président Pinay, dans des assiettes placées sur des réchauds à charbon de bois.
Faisant partie de la secte oeno-identitaire, je ne serais pas identique à moi-même si je ne parlais pas de vin : en ce temps-là, à l’Escargot Montorgueil, on pouvait se faire servir une Romanée Conti 1915, ou un Chambertin 1916, pour un prix si dérisoire, que je ne le donnerai pas, par crainte de faire s’effondrer les cours actuels de ces vins. Allez, tout de même pour faire saliver, on peut boire une Romanée Conti, à dix mille anciens fr., c’est-à-dire cent fr., une quinzaine d’euros, au relais gastronomique Paris-Est, sis Gare de l’Est, 4, rue de Strasbourg, à ce prix là, je m’imagine, la serviette autour du cou, couteau et fourchette à la main, dressés comme des armes sur la nappe, grand verre étincelant devant moi, attendant avec impatience, le sourire aux lèvres, les papilles en émoi, l’œil rempli de paysages bourguignons, la caisse complète de douze que je viens de commander. La plus chère bouteille de l’établissement était un Château Ausone de 1865 à trente mille anciens fr. pièce, soit quarante-cinq euros, si je tenais le sagouin qui l’a bu !
Ce soir je dîne d’un jambon blanc coquillettes.

vendredi 18 novembre 2011

VOLEUR DE DESSOUS

UN AMOUR INSENSÉ





Je lis Un amour insensé, ce roman de Tanizaki, (Chijn no ai, le titre en japonais, je suppose) avec une telle frénésie, que je me demande si je n’ai pas envie de vivre cet amour-là, ne serait-ce que pour ressentir, moi aussi, la violence des blessures de la jalousie, ces coups de poignard qui finissent par ressembler à des fulgurances de plaisir tant l’individu qui les éprouve est acharné à les subir, à moins qu’il ne recherche les jouissances extrêmes des retrouvailles (même éphémères et illusoires) qui ponctuent les épisodes douloureux au prix d’un effacement de son intelligence, de sa raison et de sa volonté. Des deux côtés, dans la frustration comme dans la consommation, cet amour est adorable et prodigieux.
Je me propose de raconter le plus honnêtement possible, sans rien déguiser, dans sa vérité nue, notre vie conjugale, dont le monde apparemment n’offre pas beaucoup d’autres exemples.
Un tel début qui ressemble aux premières phrases des Confessions de Jean-Jacques Rousseau est bougrement alléchant pour le voyeur acharné que je suis. Être lecteur n’est-ce point être voyeur ? Dans tout lecteur, me semble-t-il, en tout cas chez moi, c’est sûr, macère l’âme d’un concierge. Je suis toujours dans les escaliers et les couloirs de mes livres, le balai à la main et l’oreille attentive collée à toutes les portes, peut-être même suis-je comme ce voleur de dessous qui décroche et emporte, dans un paroxysme de sensualité névrosée, cette culotte ou ce soutien-gorge que sa voisine (innocemment ou pas) suspend sous son nez, au soleil, sur sa corde à linge.
Joji Kawai, employé modèle d’une entreprise d’électricité à Tokyo, rencontre un jour Naomi, petit être frustre, poussée comme une fleur sauvage dans un milieu pauvre, arriéré et louche. Naomi est serveuse de café, elle a quinze ans, et ressemble à Mary Pickford (le Japon et l’Occident sont sans cesse entremêlés dans la littérature de Tanizaki, bon, j’ai fait le curieux, je suis allé voir à quoi ressemblait cette Mary Pickford née en 1892 et décédée en 1979, je dois reconnaître qu’elle était séduisante, notamment, en 1924, date de la sortie du roman, elle avait alors trente deux ans, d'autant plus séduisante si on l’imagine, dans la peau de Naomi, tamisée d’extrême orientalisme), elle accepte l’offre de Joji, de 13 ans son aîné, qui se propose d’être son Pygmalion. Il la recueille et s’attache à lui donner les manières et les connaissances d’une jeune fille japonaise de bonne famille. Naomi se conduit comme un enfant gâté, sensuelle et dissimulée, elle montre peu d’enthousiasme pour les études et se laisse porter avec la légèreté d’une plume de canari là où le vent l’emmène, c’est-à-dire vers la mode, le monde, la danse, et les garçons. Bref, on rêve de la croquer.
Bien entendu ce gros balourd de Joji va tomber follement amoureux de l’objet de son étude. Il l’épouse, il est cuit. Un amour insensé est le récit de son long calvaire. Une fois éduquée, Naomi devient une de ces femmes fatales qui attache sa proie par tous les sens dans une emprise de lierre grimpant : « Plus elles te trompent, plus t’as envie de les baiser », dit un de mes amis de ces amours torturantes. Un type comme moi dirait, plus scientifiquement, que cette femme est une métastase, proliférante et mortelle.
Ce qui devait être une relation de maître à élève se transforme en une relation d’esclave à maîtresse, alors je ne sais pas pourquoi, tout à ma lecture, je me représente comme Joji Kawai, à quatre pattes, Naomi sur mon dos qui fouette mon cul nu tandis que, haletant et en pleine érection, je fais le tour de la chambre, dans l’espoir d’une récompense, d’un baiser, d’une caresse grappillée, ou d’une étreinte, manifestations affectueuses qu’elle distribue à profusion à tous ceux qui ne sont pas moi et qu’elle ne m’accorde qu’avec parcimonie, faisant de mes désirs une pure souffrance, endurée comme les tourments d’une drogue. Je me souviens encore de ce jour où, rentrant du bal et prétextant le mauvais temps, elle retint deux de ses amis pour la nuit. Nous dormîmes ensemble sur des nattes rapprochées, horrible nuit où je redoutais que sous mes yeux, perspective à la fois excitante et douloureuse, ils se livrent à d’insupportables attouchements dont pourtant je ne cessais de rêver. Enjambant la tête de Jumagai, Naomi sauta sur son lit ; pendant ce court instant le déplacement d’air écarta brusquement les pans de sa robe de nuit, emplissant mes narines d’une odeur provocante.
Bon on a compris ce que je ressens, pardon, ce que je veux dire.
Une telle passion est d’ordinaire mortifère, Tanizaki, qui n’est pas un moraliste, est si habile écrivain qu’il est capable de donner un happy end à cette histoire. Le couple conclue un accord inique : on continue à vivre ensemble mais Naomi obtient le droit de faire ce qu’elle veut tandis que Joji, fermant les yeux, lui reste soumis à la manière d’un chien fidèle, le museau toujours tourné vers elle dans l’espérance continue du morceau de sucre qu’elle voudra bien lui envoyer.
La fin sanglante qui aurait dû constituer l’épilogue de Un amour insensé, Tanizaki la suggère quand même dans cette scène où Joji, au faîte de la jalousie et de la sexualité non satisfaite, rase à sa demande, le cou et les aisselles de Naomi. Le lecteur, moi en l’occurrence, croit que, dans un accès douloureux et pour mettre enfin un terme à sa souffrance insensée, Joji va utiliser le rasoir pour un règlement définitif du problème Naomi.
Il préfère continuer à souffrir.
Un Amour insensé est un livre insensé.