lundi 20 février 2012

LE CLAIRON SONNE LA CHARGE


À MA MORT, JE NE LAISSERAI PAS UNE SEULE BOUTEILLE APRÈS MOI
 
LE SENS DE LA MORT
 
(ÉCHOS D’UNE VIEILLE BIBLIOTHÈQUE)
 
Avec mon mauvais esprit habituel, j’étais sûr qu’il allait trouver un sens à la mort, ce Paul Bourget, surtout à l’intérieur d’un roman écrit en 1915, paru chez Plon en 1916 (93.000 exemplaires tout de même ! cela figure sur la couverture) en pleine grande guerre. De la part d’un écrivain botté et casqué, à la plume effilée comme un sabre de cavalerie, on va avoir droit, m’étais-je dit, à un " champ d’honneur ", à la " mort héroïque ", au " drapeau ensanglanté mais glorieux ", tout ça pour sauver la France, gigantesque escroquerie qui, depuis la nuit des temps, n’a jamais servi qu’à une seule chose, empiler des cadavres pour conserver et conforter l’ordre établi.
Voilà à coup sûr ce que j’allais trouver avec Le Sens de la mort.
Pas tout à fait mais presque.
Un chirurgien parisien hyper célèbre, professeur de surcroît, qui a épousé, à quarante quatre ans, un petit bijou de vingt ans, est en train de mourir d’un cancer et tout en faisant ses interventions chirurgicales sur les blessés expédiés du front en provenance de la bataille de la Marne (qu’on aurait, paraît-il, gagné, mais à quel prix !) qui vient d’avoir eu lieu à quatre vingt kilomètres au nord de Paris, il persuade sa jeune femme, qu’il ne veut pas laisser derrière lui à cause des malfaisants qui n’auraient de cesse de vouloir la sauter, une fois lui disparu, de se suicider en sa compagnie.
Moi, ce sont mes bouteilles que je ne voudrais pas laisser derrière moi. Dieu sait qui les boirait !
Ce qu’entendant par une indiscrétion (les indiscrétions dans les romans sont aussi utiles que du parmesan sur les pâtes), son assistant, un nommé Marsal, horrifié (les veuves ont quand même le droit de baiser, se dit-il), s’emploie à tout faire pour empêcher cette catastrophe. Il a repéré qu’un cousin de Catherine (Catherine est le petit bijou en question), un nommé Ernest Le Gallic (un lieutenant héroïque, catholique et breton, ça va toujours ensemble chez Bourget, sans rien dans la tête, ou avec seulement la patrie dedans ce qui n’est pas mieux) n’est pas insensible au charme d’icelle. D’où jalousie du professeur ! D’où suicide du couple prévu.
Et, justement, il se prend quelque chose dans la tête, l’Ernest en question, une balle (à la guerre comme à la guerre), mais les héros, on le sait, ne sont jamais désespérés, surtout entre les pages d’un livre, ils prennent quelque chose en pleine poire et ils exultent, c’est pour Dieu, disent-ils, ou pour la patrie, ou pour je ne sais pas qui et ils font des yeux extatiques aux couleurs de la ligne bleue des Vosges. Comme par hasard Ernest vient se faire soigner chez Ortègue (c’est le nom du chirurgien célèbre et néanmoins cancéreux) dans le cabinet parisien que celui-ci a transformé en petit hôpital militaire et dans lequel Catherine, sa femme, sert comme infirmière.
Voilà l’histoire installée, je n’en dirai pas plus mais il y aura des morts, la guerre est au moins utile à ça, elle offre des fins commodes aux romanciers.
Il existe un art de romancier chez Bourget (encore heureux !), à l’aide d’une ou deux idées et de trois ou quatre personnages, il sait instiller une tension dramatique tout à fait correcte. Et l’histoire progressant crescendo, on est intéressé à son déroulement et à sa fin, on se hâte avec lenteur, comme lorsqu’on boit un verre de Cognac XO, tel que celui que je tiens dans ma main gauche. Il faut toujours avoir un verre à la main lorsqu’on lit Paul Bourget, sinon on déprime.
Pas d’autres personnages, n’étaient quelques blessés par ci par là, placés pour faire joli, à part Ernest Le Gallic qui a un intérêt dramatique en participant au truc, lui, et du personnel de maison dans les appartements particuliers.
Le personnel de maison est capital dans l’œuvre de Bourget. Paul fait porter aux femmes de chambre un papier, ou le déjeuner, ou une chaufferette, ou un pot de chambre, il leur fait ouvrir une porte, puis la fermer, habiller ou déshabiller leur patronne qui, l’air furieux et capricieux, les rabroue vertement pour le principe, pour maintenir les distances et tout ça (enfin Yvonne, vous me faites mal, voyons ! parce que l’Yvonne en question, originaire de la campagne, avec l’accent paysan qui convient, a trop tiré sur son corset), de belles âmes, superstitieuses et bécasses, toutes (de toute façon les laides âmes, on les fout dehors, allez oust !), qui vouent une admiration sans bornes à leur employeur et un amour sans limite pour sa famille, qui se sacrifient sans cesse, qui savent se tenir à leur place, ne demandant jamais une augmentation de salaire (d’ailleurs l’essentiel de leur salaire est constitué par les marques d’affection que chichement leur donne monsieur, les vêtements usagés, robes, manteaux, culottes et soutiens-gorge que madame leur refile, le sou à Noël, qu’on leur distribue comme le saint sacrement, et tous les soirs une bonne soupe et au lit), et qui vieillissantes touchent leur retraite sous la forme d’un coup de pied au derrière qui les expédie dans leur province d’origine, auprès d’un neveu malade, veuf, imbécile ou alcoolique, afin d'y mourir, avec au cœur cet attachement continu et cette vénération pour leurs maîtres. Bourget est la comtesse de Ségur de la bourgeoise parisienne, me dit un ami, peu charitable, et c’est aussi un écrivain de la domesticité captive.
Par décision des éditeurs, à compter du Ier février 1916, indique un tampon sur la première page, les livres d’ordinaire vendus à 8 fr. seront majorés de 1 fr., sans doute pour soutenir l’effort de guerre, je me suis fait avoir, presque cent ans après, moi l’antimilitariste proclamé, avec mon achat d’occasion, je viens de soutenir la guerre.
Arrière les canons, arrière les mitrailleuses, disait mon ami Aristide.
Le Sens de la mort, oui, le type a essayé de trouver un sens et il y est parvenu. Bien entendu, il y a Dieu dans cette histoire, c’est un comble c’est lui qui, paraît-il, donne du sens à la mort (alors Satan doit donner du sens à la vie, non ?).
Bourget trouve entre autres, à l’appui de son raisonnement, que lorsque quelqu’un se sacrifie pour son prochain et que celui-ci ne le sait même pas, il se passe quand même quelque chose.
Tous les jours, des soldats sont portés disparus, qui se sont fait tuer pour des camarades, et ceux-ci ne l’ont pas su. Le sacrifice n’en a pas moins existé. Il y faut donc le regard de quelqu’un pour valoriser ce geste, l’enregistrer, le porter au crédit, sinon c’est le triomphe de l’inutilité et de l’absurde.
Et ce quelqu’un c’est Dieu. Dixit Bourget. Dieu est le comptable de nos bontés.
Le tour est joué, Dieu est grand, la mort est belle, le ciel est pur, la route est large, le clairon sonne la charge et moi, Bourget, j’encaisse mes droits d’auteur.
Et vive la pépe !

Au pinceau: Bluhm



 
 
 
 
 
 
 

mardi 14 février 2012

DISCRETS CHEMINEMENTS


LES VIOLONS DE L’AUTOMNE
 

TROIS ANNÉES
 

 
Cette nouvelle de Tchékhov, parue en 1895 et titrée Trois Années, possède ce caractère automnal que l’on retrouve dans pas mal de ses œuvres, pièces de théâtre ou nouvelles. Un sanglot long de violon aurait pu dire quelqu’un. Le héros Laptev, pas beau mais bien gentil, fils de gros commerçant moscovite, ne se décide ni pour l’hiver, ni pour l’été, ses feuilles tombent et il les regarde se poser sur le sol, sans bruit, filer un peu sous l’effet de la brise et s’amonceler avec d’autres, inconnues et mortes, qu’elles retrouvent au coin d’une rue, qui vont attendre le feu des jardiniers ou la prochaine tempête.
Il vient d’obtenir la main de Ioula, joli brin de femme, fille de médecin qu’il convoitait (il convoitait la fille, pas le médecin), mais il n’a été accepté qu’après mûre réflexion de la Ioula en question, alors il a le sentiment d’avoir livré et gagné une victoire au rabais, en langage électoral, il est en ballottage défavorable, en langage sportif, il vient de faire match nul. On a fini par l’agréer parce que Ioula ne voulait pas se transformer en servante de son père et s’occuper de ses vieux jours. Entre un père casse-pieds et un mari pas beau, elle a choisi mais le cœur n’y était pas. La sœur de Laptev, Nina que son mari Panaourov, après avoir bouffé sa dot, trompe effrontément, est en train de mourir d’un cancer. Laptev la soigne tant bien que mal, avec l’aide du père de Ioula, mais il s’est rendu compte qu’elle ne s’en sortirait pas. Ce qu’elle fera.
Nous sommes loin de Moscou, dans le Sud, je ne sais pas où, au bord de la mer Noire, en Crimée que Tchékhov affectionnait, dont le climat favorisait le rétablissement des malades, pas toujours. Après la mort de Nina, Laptev et sa jeune épouse, ayant recueilli les deux petites filles de Nina reviennent s’installer à Moscou. Trois années n’est pas une nouvelle misérabiliste, bien entendu, si je voulais, il y a ce machin dont je pourrais parler, cliché des clichés, qu’on appelle " l’âme russe " et qui semble faite de vodka, de knout, de violence, de fatalisme, de dérision, de popes crasseux et de cérémonies sans fin, que tous les protagonistes de cette histoire et même tous les Russes,  exagère-t-on souvent, possèdent dans leur passé familial, mais avec quelques aménagements, en remplaçant par exemple la vodka par le pastis, la bière, le whisky, le schnaps ou le saké, les cérémonies interminables par les grande messes solennelles et le knout par des coups de règle sur les doigts, toutes les âmes du monde finissent par se ressembler.
Trois années est une tranche de vie plutôt désenchantée.
Laptev n’est pas un enthousiaste, il n’aime pas la société même s’il ne la hait pas complètement, il déteste le magasin de son père, même s’il en encaisse les dividendes, il n’a pas d’appétit forcené pour la vie culturelle moscovite, tout en assistant à des spectacles, il n’est pas assoiffé de luxe, bref il est affecté d’un grande langueur monotone. Une seule chose lui manque, l’amour de sa femme, il la rebute, il a beau rentrer dans son lit, elle ne se laisse toucher, dirait-on, qu’avec des pincettes, même s’il lui fait un enfant, il semble que c’est du bout des doigts, est-ce possible ? Peu importe, le lecteur le ressent ainsi. Ioula fixe alors toute son attention sur cet enfant dont j’ai oublié le nom, ce n’est pas grave puisqu’il va mourir sous sa forme de nourrisson. Toujours ce ciel gris, et ces langueurs. Lorsqu’on se sent bien, il fait froid et lorsqu’il fait beau, on se sent mal.
Le frère de Laptev qui s’occupait du magasin devient fou. On voit bien que tout ça ne s’arrange pas. Oui, tout de même, quelque chose marche bien dans cette histoire, c’est l’argent, ce sont les affaires que l’on fait dans ce magasin bien situé dans une rue commerçante de Moscou, on ne sait pas d’où vient la marchandise, ce qu’elle vaut, pourquoi on entre ici, clients de gros ou de détail, ce qu’ils emportent, on se demande comment autant d’argent passe par la caisse du magasin, mais c’est un fait, ça roule. Ça roule tellement que devenu unique chef de cette affaire, Laptev s’en désintéresse, les commis qui la dirigent suffisent malgré tout à assurer sa prospérité et sa pérennité. Laptev n’a besoin de passer sur les lieux que pour empocher son argent, pour le reste, débrouillez-vous.
Je me demande si ce magasin miraculeux n’est pas un pied de nez de l’auteur, les mauvaises affaires de son père avaient mis la famille Tchékhov dans de sérieuses difficultés alors il invente le magasin qui marche tout seul.
Car derrière cet automne littéraire de Trois années, il y a pas mal de distance, d’humour même et dans cette marche de la vie où tout est fragile et incertain, le bonheur, le malheur, l’amour, le lecteur lui-même se sent bercé d’une langueur certes monotone mais plutôt positive.
Et puis, alors que Trois années s’achève et que le lecteur n’y croyait plus, Ioula non plus, Laptev encore moins et Tchékhov pas plus, voici mon Laptev de retour de voyage qui est accueilli ainsi par Ioula:
Pourquoi es-tu resté si longtemps sans venir ? lui demanda-t-elle, sans lui lâcher la main. Je reste là des journées entières à regarder si tu arrives. Je m’ennuie sans toi.
Elle se leva, passa la main dans les cheveux de son mari et regarda avec curiosité son visage, ses épaules, son chapeau.
Tu sais, je t’aime, dit-elle en rougissant. Tu m’es très cher. Tu es là, je te vois et je ne saurais te dire combien je suis heureuse. Voyons, parlons. Raconte-moi quelque chose.
Et lui, Laptev qui aurait dû sauter comme un cabri, en entendant ça :
Elle lui parlait d’amour, mais lui, il avait le sentiment d’être marié depuis dix ans et avait envie de déjeuner.
C’est ça Tchekhov !
On ne sait jamais par où passent la détresse, ou le désespoir, ou l’amour mais ils passent, on ne sait pas non plus comment s’installe le plaisir du lecteur, mais il s’installe.
C’est subtilement beau !


lundi 6 février 2012

UN JAMBON BEURRE, UN


ANNONCE D’UNE FUTURE NOTE CIRCONSTANCIÉE, FOUILLÉE ET MULTIMONÉTAIRE AU SUJET DE LA DETTE SOUVERAINE
 

LA MESSE DE L’ATHÉE
 


 

La Messe de l’athée est insérée (dans l’ordre de La Comédie Humaine établi par Balzac lui-même) entre le Colonel Chabert et L’Interdiction qui, au sens romanesque du terme, sont deux récits plus intéressants, c’est pourquoi je risque de parler d’autre chose.
Avec cette courte nouvelle, Balzac relate la vie d’un nommé Desplein, chirurgien célèbre sous la restauration, qui est en fait la représentation littéraire du fameux Dupuytren, connu pour avoir donné son nom à une maladie (non pour l’avoir inoculé mais pour avoir tenté de la soigner) sclérosant les doigts de la main. Ce Dupuytren deviendra immensément riche, au point d’avoir versé, paraît-il, un million de francs à Charles X lors de son exil en Angleterre, comme ça, par pur attachement royaliste.
Avec une table de correspondance, on peut imaginer ce que représentait un million de francs en 1830. Tiens, armé de ma logique financière, je me lance, ça va être impressionnant. Je trouve par exemple, sur un tableau de l’Insee, cette équivalence : un franc 1910 valait 3,66381 euros, et comme un euro aujourd’hui vaut un euro, et que cet euro pèse à peu près 6 fr.54, des francs qui rappelons-le, n’existent plus, je continue quand même, le franc 1910 équivaudrait donc aujourd’hui à 3,66381 x 6,54, c’est à dire grosso modo, 23 fr 50, francs ayant bel et bien disparu, c’est un fait, mais qui pourraient pour raison de crise réapparaître un jour ou l’autre, donc méfions-nous, ne perdons pas l’habitude du franc, fonctionnons à la fois en francs et en euros, et même en anciens francs, d’où il résulte (je ne sais plus où j’en suis) que ce fameux million de francs donné à Charles X représenterait 23 millions de francs d’aujourd’hui mais comme ils n’ont provisoirement plus cours, il convient de les convertir en euros, ce qui reviendrait à une somme d’un peu moins de 4 millions d’euros (puisque les euros, eux, existent), en fait trois millions soixante six mille trois cent quatre vingt un euros (suis-je bête, j’avais l’équivalence au début, j’ai seulement cru que c’était plus simple de passer par les francs), beaucoup plus en fait puisqu’on parle ici de 1830, les lecteurs s’ils veulent se faire une idée n’ont qu’à multiplier par ce qui leur passe par la tête (par exemple un franc 1830 vaudrait aujourd’hui neuf ou dix euros, ou plus, pourquoi pas, puisqu’ils peuvent choisir la correspondance qu’ils veulent), ainsi chiffreront-ils les besoins de Charles X et se rendront-ils compte combien celui-ci se gobergeait après avoir quitté le pouvoir. Ou plutôt après qu'il en fut chassé à coups de pied dans le cul!
On comprendra aussi, en ce qui me concerne, pourquoi je n’ai cessé de m’appauvrir toute ma vie
Avec la même dextérité, je me propose d’analyser au sou près, dans une prochaine note détaillée, la dette souveraine de la France en euros, que j’exprimerai en francs 1830 (le fameux franc Dupuytren), puis en francs 1910 (le franc Poincaré on va dire), puis en nouveaux francs (les francs de Gaulle, un pléonasme), peut-être même en yens, en zlotys ou, pourquoi pas, en pesos mexicains et enfin en boutons de culottes puisque la crise aura passé sur tout ça.
Horace Bianchon, médecin aussi et héros récurrent de Balzac, voit un jour sortir de l’église St. Sulpice ce Desplein qui fait pourtant urbi et orbi déclaration d’athéisme. Bianchon s’enquiert d’en deviner les raisons. Ainsi a-t-on droit au récit de la jeunesse estudiantine de Desplein alias Dupuytren, jeunesse pauvre quasi misérable (on voit bien qu’on ne doit jamais désespérer, qui sait si moi-même un jour ne subventionnerais pas la Banque centrale européenne) qu’un humble bienfaiteur, bougnat porteur d’eau, a soutenu jusqu’à sa mort (la mort du bougnat, profondément croyant), d’où messe !
En introduction de sa nouvelle, Balzac nous compile une petite couche de trois ou quatre pages de considérations générales, sur la science, la morale, la religion, la politique, les sous, etc., c’est assez habituel chez lui, il ne peut pas s’en empêcher mais dans une nouvelle de quinze pages, ça fait comme un gros morceau de pain avec très peu de jambon.
Mais quand le jambon arrive, c’est du premier choix, Bayonne, Parme ou Jabugo, c’est du tout bon. Par l’art de Balzac, le Paris estudiantin, les rues, les maisons, les restaurants, les attelages, les hommes, les femmes paraissent se détacher comme dans ces livres d’enfants qui s’ouvrant forment des images en relief et le récit de cette jeunesse devient alors une parfaite tranche de vie.
Ces nouvelles, courtes, intercalées dans la Comédie humaine ont un double intérêt, elles offrent une respiration à Balzac et aussi au lecteur, tous les deux ont besoin de reprendre leur souffle entre les grands romans et elles permettent de faire apparaître, ou de préciser certains personnages que l’on va retrouver ultérieurement, me vient cette image d’un soldat de plomb, que l’on sort d’une vitrine du salon, dont on examine l’uniforme, la couleur du pantalon, la visière du képi, la grosseur du havresac, dont on se remémore les traits et les batailles qu’il a livrés et sur lequel on donne un coup de chiffon pour ôter la poussière avant de le réinsérer, à sa place précise, au sein de son bataillon où il va redevenir un rouage de l’œuvre multiple et immense.

J’ai commencé l’année par La Messe de l’athée, œuvre conçue, écrite et imprimée en une seule nuit, écrit le 18 janvier 1836 Balzac à Madame Hanska.
Quinze pages, en une nuit ! des pages de la Pléiade.

mercredi 1 février 2012

LA CULOTTE DE DAGOBERT

LE MAGOT DE LA SAINTE FAMILLE
 
LA ROSE DE HILDESHEIM OU LES TRÉSORS DES ROIS MAGES
 

 
Ilse est une somptueuse jeune fille que rêvent de croquer tous les galants d’alentour. Sans doute blonde puisqu’elle habite Hildesheim, à deux pas de Hanovre, et, c’est bien connu, toutes les Allemandes sont blondes, comme les Espagnoles sont brunes, les Italiennes pulpeuses et les oranges orange.
Son cousin, un certain Egon, étudiant à Heidelberg tombe amoureux d’elle et elle n’y crache pas dessus non plus, ce qui est une façon de parler assez usitée dans l’Allemagne de la fin du XVIIIème siècle.
Papa veille. Il ne la lâchera pas comme ça, une belle fille de cette élévation vaut son pesant de sous, alors Egon doit montrer sa fortune et être susceptible de présenter un compte d’exploitation prévisionnel rutilant, avec avenir glorieux, lendemains chantants et plein de bon argent.
Sinon, rien mon vieux ! Tu la remets dans ta culotte.
Cette Rose de Hildesheim ou les Trésors des rois mages est tirée d’un recueil de nouvelles intitulé l’Hérésiarque et Cie dans lequel Apollinaire remet d’aplomb, à sa façon, et sans imprimatur, les enseignements et dogmes de l’Eglise.
Ce pauvre Egon se met donc à rêver aux moyens de faire fortune s’il veut posséder Ilse, hélas ! seuls les ultra libéraux sont capables de nous faire croire qu’on peut faire fortune, du jour au lendemain, en partant de rien, ah ! ils sont forts ceux-là. Entendant l’évangile de St. Mathieu un dimanche de janvier, Egon apprend que de pieux personnages, des rois, s’appelant Gaspard, Balthazar et Melchior, ayant franchi, à dos de chameau, des montagnes, des déserts, des fleuves, sont venus, dans leur grand manteau de lumière, voir Jésus dans sa crèche, les bras chargés de cadeaux et notamment d’or, d’encens et de myrrhe. Peut-être en reste-t-il quelque chose, se dit Egon ? Bon, l’encens et la myrrhe, envolés, ça normal, d’ailleurs il s’en fout, l’encens ne sent pas très bon et la myrrhe ne se boit pas, et puis on ne sait même pas ce que c’est. Mais l’or, bon Dieu ! L’or où est-il ? On n’a jamais entendu dire que la sainte famille y roulait dessus, Joseph et Marie l’ont sans doute planqué quelque part et ils ont dû oublier où ils l’avaient mis, peut-être même se sentirent-ils gênés, avec un fils qui faisait des siennes (mais d’où venait-il celui-là ?), de le sortir de sa cachette, ce n’était jamais le moment. Bienheureux les pauvres, d’accord, mais hein, hein ! Alors, réfléchit encore Egon, ils sont morts, sont montés au ciel et tout ce qu’on veut mais l’or dort bien quelque part, non ?
Si pour épouser Ilse, Egon devait faire fortune tout de suite, voilà où était la solution, il fallait qu’il parte à la recherche de l’or des Rois mages, cela n’avait rien de déraisonnable, on cherchait bien le Graal alors pourquoi pas cet or.
Egon se mit donc à fouiller toutes les bibliothèques d’Allemagne, fébrilement, maladivement, quêtant le moindre renseignement sur l’or planqué par la sainte famille.
Hélas ! Rien, rien de rien, c’était à devenir fou. Ce qu’il fit.
Un jour un étudiant le rencontra sur le bord du Neckar en train de parler à un bœuf, auquel il tenait à peu près ce langage : " souviens-toi, ton ancêtre se trouvait, ce jour-là, en compagnie d’un âne, de part et d’autre de Jésus, dans une crèche, dis-moi, ne s’est-elle point perpétuée dans ta race, la tradition de Noêl ? Il a bien dû voir quelque chose, soit Joseph planquant son or, ou alors Marie, allons, allons, dis-moi, où est cet or ? ".
Je vois la scène comme si j’y assistais, même si Apollinaire ne la décrit pas, Egon prenant le bœuf par les cornes et le secouant " allons, allons ! ", le bœuf le regardant avec sa tête de bœuf et ses yeux de bœuf : " fais un effort, lui dit encore Egon, oui, je sais, l’âne aussi peut avoir des informations, mais que veux-tu que je demande à un âne ? Tandis qu’à toi ! "
Hélas ! ces énergiques animaux ne savent qu’une réponse : la rauque affirmation germanique. Et d’un coup, Apollinaire tape à la fois sur les doigts de l’Eglise et sur ceux de Allemands, il parlent comme des bœufs, dit-il.
Peut-être Guillaume, peut-être, mais les Allemands vont se venger et durant la grande guerre, ils vont t’envoyer un bout d’obus dans le caisson, et tu finiras par en mourir, on peut déconner avec l’Eglise, tu vois, mais pas avec les Allemands.
Egon en meurt aussi, de folie lui et Ilse le suivit, de désespoir, elle. Fin de l’histoire.
Et moi je pense à cette idée d’une perpétuation des grands mystères de l’humanité, ou plutôt de leur élucidation, des réponses que nous possédons dans nos mémoires, qu’il suffit d’exhumer, qui existent tapies dans nos neurones, cette intuition d’une filiation par l’esprit n’est, à mon avis, pas si fausse. Peut-être ce bœuf savait-il quelque chose, ce qui lui manquait était la parole et l’écriture. Moi, qui n’ai pas la tête d’un bœuf, je suis porteur comme lui, de parcelles de vérités issues du fond des âges, recueillies par mes ancêtres, et arrivées jusqu’à moi par la génétique. En même temps que l’envie de faire l’amour ou de boire, j’ai aussi celle de transmettre et comme je possède l’écriture (ou suis possédé par elle, va-t-en savoir !), je livrerai un jour, après investigation de mon cerveau, ces informations : ainsi d’ores et déjà, je sais, par exemple, où l’on peut trouver encore des éclats du vase de Soissons, je peux répondre aux questions suivantes : Le Chevalier d’Eon avait-il des couilles ? La Joconde était-elle frigide ? Eve avait-elle de gros seins ? On m’a expliqué pourquoi la tour de Pise penche à droite lorsqu’on la regarde d’un côté et à gauche lorsqu’on la regarde de l’autre, pourquoi Platini a manqué un but contre le Brésil, pourquoi le bon roi Dagobert portait sa culotte à l’envers, pourquoi Von Kluck avec toute l’aile droite allemande a viré, trop tôt, sur sa gauche devant Paris, en 1914, je sais tout ça et plein d’autres choses encore et je dirai tout.
Je suis le grand démystificateur.
L’histoire, l’Eglise, la philosophie, la littérature, les arts, n’ont qu’à bien se tenir.
On va rire.
 (Titien)