jeudi 26 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
 
PARTIE 8
 
LA FAIM
 
La première fois où je mangeais du savon, je ne fus pas très satisfait, j’eus le sentiment d’avaler un Paris-Brest déraillé et saponifié.
Car il m’avait fallu répondre au bout d’un moment à la faim et me battre contre les informations d’une balance qui annonçait scrupuleusement, jour après jour, des informations sur ma mort probable et ses progrès continus. Il n’y avait ni bananes, ni papayes dans mon île, seulement des produits de beauté. Dans un placard je mis la main sur des savonnettes dont les papiers d’emballage représentaient des fesses de bébé ou des cuisses de jeune femme. Faisant l’impasse sur les bébés, je pris les cuisses, elles étaient au patchouli. La première bouchée me fit grimacer, la seconde aussi, et la troisième pareillement. Ce n’était pas possible, on peut vivre d’amour et d’eau fraîche mais pas de savon. J’insistais pourtant, je formais dans mon esprit l’image de l’emballage et je croquais à pleines dents cette cuisse proposée, il me sembla que mon goût s’y faisait, que ma bouche finissait par accepter l’agression grinçante du savon sur les papilles et les bulles qui se formaient sur ma langue. Les cuisses de femmes sentent le savon à moins que ce ne soient les savons eux-mêmes qui sentent la cuisse. Peu importe, je parvins à avaler quelques portions, la faim fit le reste, mon ordinaire était trouvé. Dieu seul sait ce qu’un homme est capable d’avaler lorsqu’il est affamé.
Le lendemain je choisis Brise marine et ensuite j’alternais, cuisses et bébé, couleurs et senteurs diverses, apportant ainsi à mes repas, originalité et variété. Je ne reprenais pas le dessus sur la balance, mais j’arrivais à ralentir la vitesse vertigineuse de sa pente.
J’utilisais comme table le meuble en bois dans lequel était inséré le lavabo, aux heures de repas, pour ne pas lâcher prise je me calais sur les horaires du monde extérieur ( ma montre fonctionnait, elle était le seul signal qui me venait du dehors, mon déficit électronique me privant de tout autre appareil de communication moderne), je m’asseyais, passais une serviette autour du cou, dépliais l’emballage de la savonnette comme celui d’une tablette de beurre et, à l’aide des ciseaux à ongles, découpais des morceaux que j’avalais en fermant les yeux. À mon avis, je devais ressembler à un de ces types dînant tout seul à une table de restaurant, qui, les yeux dans le vague entre deux plats, paraît réfléchir sur des questions graves telles que l’origine du monde ou la fiscalité européenne mais qui le plus souvent s’interroge sur le dosage en sel de son plat ou sur les fesses de la petite serveuse. Trempant mes doigts dans des crèmes de beauté et les léchant, je découvris qu’elles pouvaient fort bien être utilisées certaines comme condiments et d’autres comme desserts. J’ai le projet d’écrire un livre de recettes sans doute unique au monde, dont le titre sera : Savons, une nouvelle nourriture bio ?
À l’extinction de la provision de savonnettes, le savon liquide et les sels de bains prirent le relais mais ma situation devint à nouveau précaire et l’urgence de trouver quelque chose de comestible s’imposa à moi puisque j’avais définitivement choisi de vivre.
J’évoluais dans une fantasmagorie parfumée, par toutes mes ouvertures j’exhalais des parfums de princesse orientale sortant du bain environnée des aromates et des sels que l’on avait abondamment jeté dans son eau. J’étais un djinn échappé d’une bouteille de parfum et je me ressouvenais de ce poème des Orientales:
Murs, ville
Et port
Asile
De mort,
Mer grise
La brise,
Tout dort.
Etc, etc.
Qui finissait ainsi :
On doute
La nuit...
J'écoute:-
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.
Dans mon court déshabillé au col duveté d’oie, récitant des poèmes à tour de bras, les intestins bondés de savon, je commençais à me faire du souci sur mes pulsions sexuelles, les parfums façonnent-ils des préférences amoureuses, de toute façon était-il utile de rajouter ce souci-là à ma situation désespérée ? Aucun objet de désir ne se trouvait à mes côtés si on excepte des brosses ou tout autre instrument dont les manches auraient pu être utiles. Mais non !
Je maigrissais à vue d’œil, la glace du lavabo en témoignait ainsi que la balance dont les annonces toujours plus catastrophiques chaque jour annonçaient la chute de mon corps. Un jour son plateau bougerait à peine lorsque j’y monterai et l’aiguille aurait du mal à quitter l’extrême gauche.
J’allais mourir, propre comme un sou neuf, dedans et dehors, luisant tel une aile de canard dans l’eau, mais fildeférisé et aérien. J’embaumais et cet embaumement était une préparation à ma fin.
C’est alors que je pensais au dentifrice dont une multitude de tubes encombraient les étagères de la pièce. Je commençai par un biflorué, j’encaissai le choc. Le lendemain, je tentai un émail diamant, je n’en mourus pas, les dents étincelantes je résistais et gardais un peu de vie, passant à l’aquafresh, au Signal bicolore et même tricolore. Le dentifrice offre cette particularité qu’il semble fait pour l’alimentaire, en l’avalant, je retrouvais les mêmes sensations que lorsque je pompais à même le tube, le lait concentré sucré de mon enfance. En repliant le corps du tube sur lui-même je parvenais à lui faire cracher jusqu’à sa substantifique moelle. Puis je passais au bain moussant et au shampoing. La salle de bains commençait à ressembler à une cuisine de restaurant après le service d’un repas de mariage. Partout papiers, tubes vides, flacons entamées, bouteilles plastique, emballages déchiquetés, boites ouvertes témoignaient de la lutte vitale qu’un pauvre type menait ici.
La symphonie des parfums que j’avalais me fit désirer le Chanel n°5 qui trônait sur un bord de la baignoire, c’était buvable, décidément on se prive de pas mal de choses dans la vie normale, on les gaspille même en se les vaporisant partout alors qu’elles sont comestibles et roboratives.
Un matin, on me coupa l’eau. Les pingres de la Grande Bretèche désiraient vraiment se mettre dans la peau d’un couple d’assassins. Dans le combat qui opposait Hortense et Horace et le mensonge qui les réunissait, ma mort devenait nécessaire. Je n’existais pas ni pour l’un, ni pour l’autre, mais chacun savait que ma non existence affichée aux yeux de l’autre, était factice, il fallait qu’elle cesse.
Sans eau, cela n’allait pas tarder.
Et je n’avais pas pensé à faire des provisions.

(A suivre) 
le peintre: Lichtenstein
 
 


 

jeudi 19 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE(SUITE)
 
PARTIE 7
 
LA SALLE DE BAINS
 
J’étais seul au monde, isolé, ouaté même, plus aucun son ne me parvenait, tout frémissant à l’idée de ce à quoi je venais d’échapper, je me tenais vis à vis de moi, abasourdi et conscient de ne posséder plus désormais qu’une durée d’existence assimilable à celle d’une libellule ou d’un papillon de nuit. N’ayant jamais su m’extirper d’aucun embarras dans la vie, je ne me faisais guère d’illusion sur ma capacité à sortir de celui-là.
Je m’étais enfin débarrassé de mon bermuda et de ma chemise à fleurs, ils n’étaient pas de mise, on n’enterre pas quelqu’un dans son déguisement du Club Méditerranée, j’étais désormais nu devant l’adversité mais celle-ci induit parfois des effets auxquels on n’aurait jamais osé penser durant les périodes favorables.
Je jetai un coup d’œil sur moi dans la glace au-dessus du lavabo, je ne me reconnus pas. Ce n’était pas moi. Je faisais vibrer mes joues, je grimaçais, je tirais sur mes orbites, il me semblait être en face de mon masque funèbre, tel qu’en moi-même la mort me changeait déjà.
C’en est fini de toi, pensais-je, tes jours et tes nuits passeront dans l’atmosphère humide d’une salle de bains, entre des glaces, de la porcelaine et des carreaux de faïence, au milieu d’éponges et d’étoffes, dans la respiration musquée des parfums de luxe et des crèmes de beauté, tu t’étioleras et disparaîtras sans que quiconque s’en aperçoive, poussière que les aérations du plafond emporteront au vent léger ou bien squelette désassemblé et sans nom qu’un agent immobilier dans cinquante ou cent ans d’ici poussera négligemment du pied derrière la baignoire, après avoir dégagé la porte, soucieux de ne point effaroucher les acheteurs à qui il fera visiter la Grande Bretèche. Un humain est peu de chose : une soirée parisienne, une rencontre, du Bollinger vieilles vignes, un sac oublié, un adultère avorté et voilà un squelette immémorial.
Cela ne pouvait arriver qu’à moi, ma vie allait s’achever entre un bidet et une cuvette.
Puis aussitôt un élan vital me saisissait, un sorte d’espérance soufflant à mon oreille : tu respires, tu as échappé à la vengeance d’un mari, tu dois vivre.
Mais qu’est-ce que la vie sans les bruits quotidiens, du vent, de la pluie, des oiseaux, des autobus, des pompiers, des paroles des hommes ? Peut-on exister dans le silence ? Y a-t-il quelque chose de moins ressemblant à la vie que le silence ?
Dehors, dans la chambre d’Hortense, les explications avaient dû continuer, mais je n’étais plus acteur de cette histoire, une autre commençait où j’étais seul. Je me dois d’aller au bout de mon récit car je suis conscient de ne plus appartenir au fait divers, d’être devenu malgré moi une destinée, et peut-être même, pour le monde extérieur, s’il advenait qu’il apprit un jour mon sort, une légende. En attendant, je ne comptais pas plus qu’un peignoir suspendu derrière la porte ou une serviette éponge séchant sur un radiateur. J’avais passé un déshabillé d’Hortense dont le col s’ornait d’une fourrure en duvet d’oie et qui s’arrêtait à mes genoux. Y gagnais-je en prestance par rapport au bermuda ? En imaginaire, oui. Son souvenir (pas de l’oie, d’Hortense) résidait maintenant dans son odeur qui m’englobait et dans le chatouillement des plumes dans mon cou.
Je ne souffrais pas encore de la faim ni de la soif, le lavabo distribuant de l’eau fraîche à satiété.
Ma première sensation, mon retour à la vie en quelque sorte fut le sommeil.
Je tombai de fatigue. Cela faisait bien deux ou trois jours que tournant dans ma cage je n’avais pas fermé l’œil. Sondant les placards pleins de vêtements d’intérieur, j’y trouvais de quoi organiser une couchette à l’aide des robes de chambre et des chemises de nuit d’Hortense, les hommes sont ainsi faits que même mourants, ils ont peur d’avoir mal au dos. Mais pas seulement ça, ils ont toujours apporté une attention méticuleuse à l’art de coucher. L’évolution des lits à travers les siècles explique sans doute mieux l’histoire du monde que le déroulé des batailles. Les unes (les robes de chambre) me servirent de matelas et les autres (les chemises de nuit) de couvertures. Mes sens, quoique émoussés, continuaient encore à vibrer aux senteurs que recelaient les effets d’intérieur d’Hortense, je couchais enfin sur elle, elle était dessus et dessous, je tripotais ses linges, pourtant je n’en retirais plus guère d’attrait, quelque chose avait disparu définitivement, sa chair et aussi l’image que je m’étais formée d’elle. Restaient encore flottant dans mon esprit le souvenir héroïque de ma galanterie mortelle et aussi, dois-je le dire, l’effroi que j’avais de rencontrer le mari si par miracle on m’extrayait d’ici. Les fantasmes alimentent le mental mais ne nourrissent plus les sens.
J’en vins à m’organiser comme pour un long séjour ou un voyage. Je compris qu’Hortense jamais ne me ferait délivrer, trop dangereux pour elle, son confort de vie, peut-être sa vie elle-même en dépendaient et son mari m’ayant confié à la garde vigilante de Soliman n’accepterait pas non plus que je sorte de ma prison vivant. Pour le monde extérieur je n’existais déjà plus. Mais l’idée de mort qui aurait dû être prégnante s’estompait et ne parvenait plus à l’emporter facilement sur l’idée de vie. Au fond on n’est pas responsable de toutes nos idées, certaines, les plus vitales souvent, nous sont imposées. Mais je ne suis pas obligé d’exposer ici des lieux communs. Ma tragique aventure pourrait me pousser à des considérations plus élevées et plus singulières. J’étais un Robinson Crusoé foulant aux pieds un sol connu mais définitivement abandonné qu’il devait réinvestir. Je voyageais autour de ma salle de bains, je ne pensais plus à ma fin. Je m’installais, quiconque aurait vu l’ordonnance que j’avais donnée à mon logement aurait pu évoquer l’idée d’aises. Commençait à s’infiltrer aussi dans mon esprit ce projet bizarre de mourir tout en continuant à vivre. Je pourrai m’en expliquer.
Mes jours passèrent.
Je lisais.
Avant que l’on ne se révolte et considère que je dis n’importe quoi : il lit dans une salle de bains, quel hâbleur ! Ah, laissez-moi rire ! Cette histoire est-elle réelle ? Je prie pourtant tous de comprendre. L’armoire à pharmacie était ma bibliothèque, mes livres étaient les posologies, et les contre-indications des médicaments. Celles-ci constituent une nourriture littéraire dont nombre d’auteurs modernes devraient s’inspirer. Les notes que l’on trouve dans les boites, pliées en quatre, écrites en minuscule, sont des trésors, elles ne sont pas destinées à être jetées sitôt le médicament entamé, il faut avoir vécu ce que j’ai vécu pour le découvrir. Elles racontent mieux que les romans des histoires sur les maux qui nous attendent si on fait ceci, ou si on ne fait pas cela, si on force la dose ou si on la diminue, ou si par malheur on est doté d’une telle constitution ou sujet à de telles réactions. Insérés dans les cachets, tapis dans les ordonnances, concoctés dans des laboratoires, des drames, des tremblements, des saignements, des ballonnements, des maux de tête, des vertiges, des attaques, des crises, nous guettent et nous promettent une vie pleine de mystères et de rebondissements. Les médicaments soignent plus nos maux par leurs mots que par leur formule chimique, leurs molécules nous tuent et leurs mots nous sauvent. Je puis réciter par cœur la formule de l’Efferalgan, dans mon réduit, jour après jour, j’ai rimé les contre indications du Pneumorel 80, mis en sonnet les effets nocifs du Locabiotal 0,25% et de nombreuses autres potions, j’ai composé et presque fini un oratorio avec la notice d’utilisation du Diamicron 30mg. Je suis le chantre de la pharmacopée.
Un fièvre créatrice, celle d’un inventeur fou me tenait en haleine et en vie.
J’écrivais sur des serviettes, sur les murs, les miroirs, les glaces à l’aide de rouges à lèvres, de bâtons de maquillage, la salle de bain était devenu un livre ouvert où s’inscrivaient des slogans et des tags. Si on retrouve un jour cette œuvre écrite par moi dans le seul but de me maintenir en vie, on découvrira le " Journal d’un voyage autour d’une salle de bains,  écrit sur un mur et des serviettes". L’écriture est un antidote aux fins dernières.
Je faisais la sourde oreille à l’idée de ma mort, elle pouvait attendre.
Un jour une balance corporelle trouvée au fond d’un placard, révéla la vérité, et afficha une valeur inférieure à 50 kg. Par des diminutions successives et inexorables, jour après jour, j’atteignis le score de 40. Je m’amenuisais. C’était alarmant j’allais finir en négatif.

(A suivre) 
le peintre: Lichtenstein
 
 


 
 
 

vendredi 13 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
 
PARTIE 6
 
ENSEVELISSEMENT
 
Quelques secondes plus tard, Rosalie, Rosalie, Rosalie, remontait en compagnie du chapeau de paille, le jardinier croisé à mon arrivée, qui était en train d’édifier un mur dans le jardin, cette fois je compris qu’il était Turc, car il le parlait, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Que venait faire ce Turc dans cette Byzance à nouveau pillée ?
" Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en vous, madame ", entendis-je, collé contre la porte.
Le mari allait et venait dans la chambre, ses pas se rapprochaient et s’éloignaient de ma cachette, même à travers la porte je le sentais préoccupé. Les pas, c’est assez rare sauf dans les circonstances que je vivais, peuvent aussi laisser deviner des sentiments.
Le Turc se taisait mais je l’entendais manier des outils et du matériel comme s’il installait un chantier.
" C’est sans doute une stupidité, mais ! " reprit Horace.
Un moment encore, puis.
" Je vous propose que l’on se rassérène mutuellement. "
Que voulait-il dire ? Il n’y a jamais de dictionnaire dans un cabinet de toilette, l’a-t-on remarqué ?
Au bout d’un autre moment.
" À propos, madame, cette Citroën à côté de la vôtre ? "
Zut ! Je l’avais oublié celle-là. Cette fichue voiture m’avait sans cesse trahi, d’abord par les pannes, ensuite par les contraventions et voilà maintenant qu’elle me mettait physiquement en danger.
" Voyez-vous, je dois me résoudre à faire ce que vous allez constater, madame ".
C’était une conversation hachée, elle révélait un fond de violence sourde. Dans un épisode coléreux le bruit minimise le ressentiment et finalement le tempère, tandis que la maîtrise de la voix et des gestes le rend incontestable et redoutable. À la place d’Horace, je n’aurais eu nul doute sur ma disgrâce maritale mais j’ai tellement l’habitude des déconvenues. Pour un perdant de mon acabit, les défaites sont des aléas normaux de la vie. L’échec fait partie de mon quotidien. Les fastueux comme lui n’ont pas le sentiment qu’ils peuvent être atteints par les même maux que les vulgaires. Ils se croient à l’abri des disgrâces communes. Bon, il n’était pas si con que ça, on va le voir. Je me demandais quelle tête faisait Hortense ? Je priais pour qu’elle fasse attention à son sein, l’autre, qui risquait de s’échapper car dans les moments intenses on est souvent trompé par ses plus beaux atouts.
"  Soliman ! veuillez procéder ", entendis-je encore.
Soliman, c’est le nom de l’Ottoman pensai-je, qui d’autre sinon, se mit à empiler des moellons devant la porte du cabinet et à les cimenter.
" Oh, peu me chaut, fit Hortense pour se donner une contenance, vous êtes d’un ridicule mon ami "
Elle le prenait à la légère, pas moi. Il me semblait la voir, toujours assise sur son lit, aussi décontracté que si l’on enfermait son chien dans un chenil. J’avais eu pleinement raison à mon arrivée de me méfier de cette tête de Turc. Pourtant Dieu sait si j’aime le Bosphore, la Corne d’or et les kebabs. À compter de ce jour mon hostilité à l’entrée de la Turquie dans l’Europe devint virulente, un pays de maçons, que viendrait-il faire chez nous ? Mais après tout, que me chaut à moi aussi ? Je suis mort. D’ailleurs y a-t-il une Europe encore ?
En tout cas on ne perdait pas cette sale habitude de construire des murs entre les hommes.
J’imaginais Horace au pied du lit de sa femme, les bras croisés, un sale sourire à la bouche, regardant tour à tour, l’air satisfait, Hortense et Soliman, tandis que j’entendais passer entre ses lèvres serrées :
" Je sais, je sais, madame, c’est grotesque, mais que voulez-vous, il n’y aura plus aucun doute entre nous! ".
J’entendis aboyer le chien aveugle, puis de plus en plus loin, les mots échangés entre Hortense et Horace, et Rosalie peut-être aussi, Rosalie, Rosalie, qui acquiesçait aux ordres qu’elle recevait, c’était une coalition. Je percevais aussi des " Soliman, allons, allons, pressons ! ". Les sons me parvenaient de plus en plus étouffés, comme des personnages que l’on voit disparaître au loin dont les mots s’évanouissent au fur et à mesure que leurs pas les éloignent de nous. Je n’entendais plus que les bruits de truelle, le choc des moellons, les uns sur les autres, puis aucun son n’arriva plus à mon oreille. Un silence de tombeau.
Je devais me rendre à l’évidence :
J’étais enterré vivant ! Un lapin pris au piège.
Une vision panoramique du cabinet de toilette qui était composé comme tous les cabinets de toilette d’un bidet, d’une baignoire, d’un lavabo et d’une cuvette mais tout le monde s’en fout, je suppose, m’apprit que ma prison n’avait qu’une porte qui n’en était plus une puisqu’elle était devenue un mur. J’étais non pas prisonnier mais condamné à mort et enseveli. Une mort que même la guillotine eut rendu plus douce. Je ne me rendais pas encore tout à fait compte de la tragédie de ma situation puisque mon émotion provenait aussi des traces du passage d’Hortense dans ce cabinet et du souvenir des soins intimes qu’elle se donnait ici.
Je pensais aussi que par ma disparition, je rendais un fier service à Hortense.
Je ne conseille à personne de se laisser enfermer dans un cabinet de toilette, sauf s’il veut s’attribuer quelque mérite ou laisser à la postérité la mémoire d’une galanterie telle qu’elle puisse aller jusqu’à la mort. Il y avait quelque chose d’une grandeur d’âme dans cette disparition, acceptée, pour ne pas trahir une dame. C’était le seul fait positif de ma situation et peut-être le premier geste altruiste de ma vie. Je n’étais certes pas là par mon entière volonté, et à vrai dire plutôt par mes hésitations veules, et ma lâcheté devant un mari courroucé, mais c’était ainsi, je sauvais une femme en me perdant.
Je n’en sortirai plus !
Cette pensée me glaça, pour deux raisons :
L’une prosaïque, ce cabinet ne disposait d’aucune sortie, quelques aérations au plafond, mais pas de fenêtre, une porte condamnée par un féroce Turc et des murs épais comme des blockhaus de bord de mer.
L’autre, chevaleresque celle-là, qui m’était, je dois le dire, plus ou moins imposée par les circonstances, la position d’Hortense eut été funeste, si tapant, hurlant, sautant j’étais parvenu à révéler ma présence. Je l’aurais perdu dans l’esprit de son mari et n’aurais sans doute rien gagné moi-même à ma trahison car en me découvrant il aurait pu aussi bien me massacrer. J’étais chevaleresque à mon corps défendant, mais au fond ce n’est pas donné à tout le monde.
Soudain cette pensée fausse m’atteignit :
Tu as raté ta vie, tâche de réussir ta mort.
Ce genre de phrase est du roman et du plus mauvais.
 
(A suivre) 
le peintre: Lichtenstein
 
 


 
 

vendredi 6 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
 
PARTIE 5
 
COUP DE FOUDRE À LA GRANDE BRETÈCHE
 
Tout à coup, par la fenêtre entrouverte, on entendit des bruits de pneus sur les gravillons blancs.
" Mon mari ! " fit Hortense.
Le cri des mouettes (des mouettes forestières) et celui des pélicans lassés des longs voyages cessèrent, celui des grands effrois commençait.
Les opérations amoureuses définitives étaient lancées mais non encore menées à terme, un froid se fit en moi. J’étais ours blanc sur une banquise. C’était bel et bien son mari, elle reconnut ses pas dans l’escalier. D’un doigt impératif elle me désigna son cabinet de toilette, et d’un autre non moins, collé sur ses lèvres, elle m’intima le silence, je n’eus pas à récupérer mes frusques étalées par terre puisque j’étais encore en fleurs et en bermuda. La madone quittant son masque éplorée ainsi que celui, ragaillardi, que mon assaut probable laissait deviner et se muant en Jeanne d’Arc, fit face au danger. Et dans ce rôle, elle était encore époustouflante de séduction féminine. Un de mes fantasmes secrets consiste à me faire fouetter, moi nu sous un oriflamme bardé de fleurs de lys, par Jeanne d’Arc revêtu de son armure et de sa sainteté. Mais je n’ai pas le temps d’en parler, une autre fois peut-être. Je bondis. Ou plutôt je tombai du lit puis me précipitai vers la cachette providentielle qu’Hortense m’avait indiquée.
Lorsque le dit mari ouvrit la porte de la chambre à coucher, j’avais refermé celle de son cabinet, ne laissant aucune trace apparente de mon passage, sauf, semblait-il, le désordre de la tenue d’Hortense qui le fit hoqueter, un désordre préparatoire qui n’était pas encore les signes d’un engagement ferme et définitif dans un corps à corps introductif mais ne laissait guère planer de doutes, quant au projet commun qui nous avait réunis sur cette satanée couche ex nuptiale et quasi adultérine.
Ni d’un soupir, ni d’un tremblement de lèvres, je ne ratais le combat qu’Hortense allait livrer, il était de ceux, féminins et pourtant féroces, qui ne sacrifiant pas à l’outrance, au bruit, à l’agitation ou à la violence, laissent les hommes interdits, sans forces, emportés par une lame de fond qu’ils n’avaient pas senti arriver.
L’oreille collée à la porte du cabinet de toilette, apeuré et tremblant, je m’attendais à voir le mari entrer, furieux, dans mon réduit, me provoquer en duel ou me rouer de coups ou bien, était-il armé ? me ficher une balle entre les deux yeux.
Il paraissait inquiet mais sa voix était apaisée :
" Madame, que vous arrive-t-il ? ", fit-il.
" Rien, mon ami, peut-être un peu de fièvre ", dit-elle en se raclant la gorge.
Et je suppose, mais je ne la voyais pas, qu’elle passait sa main dans ses cheveux comme l’on fait lorsqu’on souffre de migraine, elle fit encore :
" Et puis, mon ami, je suis tracassé par ces pantoufles que je ne trouve pas. "
" Vous voulez dire vos mules ? "
" Oui, bon, si vous voulez, mes mules ".
" Je vais vous faire monter un peu de tisane, par Rosalie ", dit-il d’un ton plein de sollicitation.
Tandis que moi, en sourdine derrière la porte :
Rosalie, Rosalie, oh, !
Rosalie, Rosalie, ah !
 
Il faut savoir que même dans les pires circonstances le ritournellage ne cesse jamais. Je m’en voulais, mais c’était ainsi, ma situation n’était pas vaudevillesque comme on pourrait le craindre, elle évoluait vers le drame romantique dans toute sa splendeur avec tout ce que cela comporte de taux de mortalité possible, pourtant je chantonnais. À bien y réfléchir je me demande si ce n’est pas plutôt dans les tragédies antiques que le taux d’hémoglobine est le plus élevé. Mais, ici, à deux pas d’une baignoire, et d’un mari trompé, je n’étais pas dans la littérature.
" Et Rosalie montera vos mules aussi, puisque vous semblez y tenir ", continua l’époux en situation de cocufiage encore non consommé.
J’en savais quelque chose, cette interruption m’avait coupé le sifflet. Pourtant mon excitation douchée par l’irruption du mari était en passe de reprendre des forces sous une influence purement physiologique nonobstant les immenses dangers que je vivais. Certaines images des délices promis et désormais compromis, parvenaient, malgré la précarité de ma situation à traverser un esprit que suralimentaient les senteurs capiteuses des produits de beauté féminins m’environnant. Le beau sexe m’enivrait. Les apprêts, les crèmes, les huiles essentielles ou pas, tout ce que la peau des femmes fréquente échauffe mon âme et se transmet aussitôt à mon corps. Un parfum de femme est un chemin bordé de lilas blancs, disait Robespierre.
Rosalie, Rosalie, oh !
Rosalie, Rosalie, ah !
Ça continuait encore et encore. Imbécile que j’étais. À deux doigts de la mort, je ne pensais qu’aux lilas et je chantais. Etait-ce mon chant du cygne ?
Soudain, le mari, comme s’il voulait surprendre Hortense, sa voix étant monté dans des octaves pleins de reproches, fit :
" Madame, il y avait quelqu’un dans votre chambre "
" Quoi, que dites-vous ? Comment osez-vous ? "
J’imaginais Hortense, assise sur son lit, replaçant un sein qui s’était extrait de la chemise de nuit qu’elle avait eu le temps de passer lors de ma marche d’approche et tenant tête à son mari si dédaigneux d’elle en général. Les hommes sont tels qu’ils veulent paraître détachés de tout sauf justement de ce qu’on tente de leur prendre, qui les embarrassait auparavant et devient soudain précieux parce que menacé. Va-t-en comprendre ! De quoi se préoccupait donc Horace ? Il s’appelait Horace, il me semblait avoir entendu prononcer son prénom par Hortense. Qu’arrivait-il donc à Horace qui d’ordinaire n’entrait dans cette chambre que pour réclamer qu’on lui fasse le nœud de cravate ou qu’on lui retrouve des chaussettes ? Ne vivait-il pas sa propre vie ? Les maris sont ainsi, ils perturbent bêtement les amants de leur femme et, dans mon cas, Horace de la Grande Bretèche m’avait rejeté sur la grève comme un dauphin mort et asexué. Je ne faisais plus de ronds dans l’eau, je palpitais mortellement sur le sable. Il me semblait voir les cheveux d’Hortense dégouliner sur ses épaules et son air altier d’Amazone se battant pied à pied devant un ver de terre.
" Sur la tête de mes enfants… " fit Hortense.
Tiens ! Elle avait des enfants.
Je passe des détails, d’ailleurs je n’entendais pas tout derrière ma porte, mais soudain, en baissant les yeux, je vis, terrorisé, la poignée bouger un peu, un mouvement imperceptible signalant seulement la possibilité que la porte s’ouvrit, Horace allait entrer dans mon refuge qui ne possédait aucune autre sortie, il dit :
" Souffrez, madame, que je vérifie quelque chose ".
L’oreille collée au bois, j’entendais sa respiration.
" Comment, Horace, (oui, c’était bien son prénom), oseriez-vous douter de ma parole ? J’ai juré sur ce que j’ai de plus cher. Si vous entrez dans ce cabinet tout sera fini entre nous, j’en fais le serment ".
Longue hésitation de l’Horace en question, la poignée bougea encore, oh ! à peine, mais elle bougea, je tentai de me cacher, en vain, sous le lavabo, scrutant, comme s’il s’agissait de la lame d’une guillotine, la porcelaine de Limoges de chez Jacob Delafon qui frémissait toujours prédisant ma détresse future. Enfin, après un temps, elle reprit sa position normale et j’entendis :
" Je vous crois, Madame "
" Mais ! ", ajouta-t-il, sèchement après une pause, avec, je suppose, un sourire sur les lèvres que, derrière ma porte, j’assimilai à un rictus.
Puis plus rien, le silence s’installa, troublé par un chuchotis d’Horace vers Rosalie, doudou, dodue, venue prendre ses ordres dans la chambre.

(A suivre) 
le peintre: Jack Vettriano
 
 


 
 
 

mardi 3 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
 
PARTIE 4
 
LES MULES
 
Cet incident pseudo musical allège la sombre moiteur du drame que j’ai vécu en compagnie d’Hortense, mais ne nous y trompons pas, malgré ce Rosalie, Rosalie qui semble l’entraîner vers la variété déliquescente et l’allégresse factice, nous côtoyons d’ores et déjà les ténèbres, et je me dois d’aller jusqu’au bout de mon récit, quoiqu’il m’en coûte, même si la fin est tragique. Un Requiem y suffirait-il ?
Très grave, gêné par ma tenue de music-hall bon marché, mon réticule à la main, je m’approchai, emprunté, et non encore remboursé, du salon d’Hortense dont les murs étaient recouverts d’une tapisserie représentant l’embarquement pour Cythère d’un côté et le sac de Byzance par les croisés de l’autre. Elle était à nouveau en pleurs dans un fauteuil à fleurs. L’élixir dispensateur d’une certaine félicité dont, ne doutant de rien, je croyais être porteur, ne faisait plus d’effet. Mon charme s’évanouissait.. J’y étais habitué, je ne plais en général que d’une manière éphémère. Je surprends, je séduis, je me ridiculise, je désillusionne et hop ! on me chasse aussitôt dans un enchaînement immuable et quasi instantané. Me précipitant aux genoux d’Hortense, je tapotais ses mains :" Hortense, qu’avez-vous ? ", " Hortense, permettez-moi de ", et j’essuyais ses yeux, on se serait cru dans un roman à trois sous ou dans un numéro de prestidigitateur car tapoter des mains et essuyer des yeux en même temps, est un exercice d’une grande virtuosité. Mais dans ces circonstances, je réussissais pleinement.
La prenant alors par le bras, avec délicatesse et componction, je décidai de l’accompagner vers sa chambre qui béait, l’utilisation de cette forme très rare de la conjugaison du verbe béer rendant mieux, me semble-t-il, et d’une manière plus dynamique, dans de telles circonstances, l’expression de l’état de ce qui bée. " Que faites-vous ?" gémissait, debout, Hortense, la tête douloureusement penchée vers le sol et tenant son avant-bras, le droit, au devant de son front. La madone était de retour et dans l’éploration, qui est une forme introuvable de l’éplorement déjà fort rare lui aussi, Hortense pouvait tout jouer, là c’était Ste Thérèse de l’Enfant Jésus.
" Hortense, je vous conduis dans votre chambre, vous pourrez y trouver quelque repos ". Etait-ce la gentilhommière au fond des bois qui suscitait en moi ce langage inhabituel, j’avais l’impression de parler à la manière de Balzac, des ses héros plutôt, sans doute m’y sentais-je obligé à cause de la noblesse des lieux et de mon aptitude grotesque à me croire toujours dans un roman. Car c’est là qu’on réside le mieux, me dis-je a continuo.
" Reposez-vous, je vous en prie, ça ira mieux. Ne vous tracassez point, j’ai votre sac ".
Je craignais qu’elle ne se lamentât à cause de son sac égaré. Elle ouvrit ses yeux : " Mon Dieu, l’été est entré dans ma chambre " fit-elle en sursautant, au vu de ma chemise et de mon bermuda, tout en esquissant un sourire que j’aurais pu juger réconfortant s’il n’avait pas fallu l’attribuer à mon ridicule vestimentaire. " La récolte sera bonne avec la promesse de toutes ces fleurs " ajouta-t-elle. Elle pouffa puis pleura derechef. J’étais gêné. Ces fleurs, je ne pouvais même pas les glisser dans un vase. Après m’avoir trouvé drôle le temps d’un regard, elle avait à présent franchi un seuil qui m’installait résolument dans le grotesque. Les fleurs de ma chemise ployaient leur cou. Et moi aussi. Le mystère Hortense et ses alternances d’émotions antagonistes ne cessaient pas de me troubler.
" Où sont passés vos pantoufles ? " fis-je pour tenter de changer de sujet et parce que ayant posé Hortense sur son lit et l’ayant délicatement allongée, je voulais la resituer dans ses conditions d’origine, la rassurer en quelque sorte et les pantoufles au pied du lit sont apaisantes, elles composent un art de vivre commun à toute l’humanité, à la Grande Bretèche comme à Fleury Mérogis. D’un bout à l’autre de la terre, disait ce politicien félon, une valeur nous est commune, la pantoufle. Il était sans cesse réélu.
Pas de pantoufles.
Je me permis de fouiller les armoires, les commodes, les penderies, pas de pantoufles ! en revanche des culottes et des soutiens-gorge en avalanche mirent mes sens à rude épreuve. Les dessous dispendieux non millésimés provoquent chez moi les mêmes effets que le Bollinger millésimé. Je pétille et mes bulles crèvent la surface.
" Qu’avez-vous, monsieur " fit-elle, allongée, quasi abandonnée et me voyant ému jusqu’à la moelle épinière.
" Rien, madame " répondis-je, défait et exorbité, ce sont ces pantoufles… "
"Vous voulez dire, mes mules ?"
Oh, oui, bon !
Devais-je continuer ma quête pantouflière ? Oui certes, même si c’était trop tard, le sac à main et celui de Byzance, joints aux montagnes apparues de lingerie intime avaient pourri la situation en me hissant à un stade d’ébullition que Godefroy de Bouillon, lui-même n’avait jamais connu et qu’aucun lac de Norvège n’aurait pu refroidir. Hortense continuait d’osciller entre tristesse et hilarité. Me voyant tout en fleurs et m’entendant marmonner de temps en temps, au long de mes investigations des Rosalie, Rosalie, elle lâchait des rires clairs comme des sources de montagnes et aussitôt après des sanglots longs comme des violons, et ces affects aphrodisiaques à deux versants me portaient à des désirs incommensurables d’autant que s’y joignait le doudou, dodue mental de Rosalie.
J’étais en feu. Ce fut une catastrophe pour tous les deux, elle me coûta la vie, elle y laissa une partie de la sienne. La tragédie s’avance, on le sent bien. Des choses définitives vont avoir lieu.
Se trouvant aux côtés d’une femme en pleurs sur son lit, belle comme un yacht de milliardaire saoudien, et qu’il convient de consoler, car c’est le devoir de tout homme, qu’arrive-t-il, hein, qu’arrive-t-il en général ? D’autant que le bermuda permet d’amples développements sous-jacents.
De fil en aiguille, les réconforts, de sentimentaux deviennent tactiles, et de purement consolateurs entièrement charnels et ayant lu tous les livres, la chair n’est pas si triste hélas et les oiseaux pas tous ivres, alors le toucher amène l’envie de voyages. Je rêvais de rivages inconsidérés, et elle aussi je suppose, car ses gémissements se transformaient en plaintes plutôt lascives que n’auraient pas désavoué les sirènes d’Ulysse. Elle avait séché ses larmes et sa voix, entre ses lèvres, émettait des sonorités de vents alizés, il ne nous restait plus qu’à voguer d’île en île, les voiles étaient carguées, les flancs du navire frémissaient, nous pouvions appareiller, et nous imaginions accoster et désaccoster, au gré de nos envies, le long des golfes clairs, dans un mouvement infini que la mer et ses douces ondulations, ne cesseraient pas de rythmer.
Pourtant nous n’en étions qu’aux préparatifs.
Au loin Cythère apparaissait à peine, des nuages ceignaient ses contours.
Une tempête ?

(A suivre) 
le peintre: Jack Vettriano