mardi 11 septembre 2012


ENTRER DANS L’HISTOIRE
 
MONSIEUR DE LA FERTÉ

 
(ÉCHOS D’UNE VIEILLE BIBLIOTHÈQUE)

 
Avec Monsieur de la Ferté, Pierre Benoit nous prend pour des billes. Il bourre son roman de fausses pistes ou de pistes qu’il avait peut-être l’intention d’emprunter mais dont il se fatigue aussitôt. Au bout d’un moment, désinvolte, il les abandonne : Qu’ils aillent se faire voir, semble-t-il dire aux lecteurs. Après tout, il est de l’Académie française maintenant, il peut bien faire ce qu’il veut, depuis quelque temps d’ailleurs, il ne se gênait plus. Mais un auteur de cet acabit, de par ses séductions naturelles de conteur, colle n’importe quel lecteur à ses récits, quoiqu’il écrive et même lorsqu’il a l’air de se foutre du monde
Pierre Benoit donne ce qu’il a, spontanément, naturellement, sans apprêt, ni effort apparent, c'est une jolie fille qui a beau être parfois désagréable, infidèle ou ronchon, quand on a la chance de l’avoir dans son lit, on ne donnerait pas sa place pour un empire !
Justement, ici, c’est d’empire qu’il s’agit, colonial, africain pour tout dire, gabonais pour être précis.
Les fausses pistes ?
Le titre d’abord, Monsieur de la Ferté : Pierre Benoit a écrit en 1923, un roman intitulé Mademoiselle de la Ferté, qui eut un grand succès (existe-t-il un roman de Benoit qui fut un échec ?), peut-être celui de ses romans qui s’approche le plus de " la grande littérature ", même si " grande littérature " est un concept foireux. Le lecteur de Mademoiselle de la Ferté voit dans ce Monsieur de la Ferté paru dix ans plus tard, une chance de renouer avec la demoiselle, de prolonger le plaisir qu’il a goûté en lisant ce célèbre roman, Pierre Benoit n’avait donc pas tout dit, intrigué, appâté, il imagine qu’il va entrer plus avant dans la connaissance d’Anne de la Ferté par le biais d’une aventure arrivée à un de ses neveux. Peine perdue, illusion, lorsque le roman commence on apprend par la Ferté que sa tante a cassé sa pipe, elle n’a été utile qu’au titre, on n’en parlera plus.
Autre fausse piste, la vie de garnison des coloniaux, elle occupe quelques pages, sans s’embarrasser d’originalités. Des officiers s’ennuient, boivent, parlent, insultent le petit personnel noir, jouent aux cartes, tentent de séduire les femmes des uns et des autres, bombent le torse, jouent aux matamores, sont pourris d’ambition, font des bassesses, ont parfois des bontés, bref l’armée ! On croit que l’on aura droit dans ce cadre à des aventures sentimentales, des drames, des coucheries. Ce n’est qu’un passage, le sujet n’est pas là.
Voici maintenant un adultère raté, une nommée Germaine (on comprend qu’elle ne sera pas l’héroïne du livre, sinon elle se serait appelée Antoinette ou Amélie), mariée à Soubeyran, un officier à gueule et mentalité de cocu, est intéressée par le lieutenant La Ferté, qui est fringant, courageux, et tout ce que tu veux. Elle essaie de l’attraper dans la chambre de ses enfants, mais La Ferté, dignement, refuse. Ce n’est pas que ! D’accord ! Mais ! Enfin ! Ici ? Oui, certes ! Oh, quand même ! Il lui promet de revenir le jour suivant, en lui faisant miroiter des lendemains qui chantent.
Seulement, on est le 1er août 1914, et des lendemains qui chantent on n’en verra plus pendant quatre ans. Là-haut en Europe, les grands imbéciles galonnés ont décidé de se prendre par le paletot et de s’infliger une bonne décoction de sang, via celui du peuple souverain. Entre les Français installés au Gabon et les Allemands installés aux Cameroun, s’instaure aussi un état de guerre. Quel besoin avait-on d’exporter cette lutte assassine dans les forêts profondes de l’Afrique noire ? Comme si les Africains n’ayant pas leur compte de rivalités ? Comme s’il fallait qu’ils prennent aussi en charge celles des blancs d’Europe ? N’auraient-ils pas pu faire comme si de rien n’était, ces Européens et continuer à écluser leur whisky sous les vérandas, dans le parfum des flamboyants et les miroitements du fleuve ? Les nouvelles d’Europe arrivent au compte-gouttes, on ne sait pas ce qui se passe là-haut, alors castagnons nous ici aussi, ça ne mange pas de pain. D’autant que les tirailleurs sont noirs, qu’ils ont l’esprit simple et que leur mort ne changera pas la face du monde.
Le roman prend alors une dimension guerrière. Dans cette marche de deux colonnes : la française montant au nord, vers le Cameroun pour débusquer la colonne allemande qui descend au sud, vers le Gabon, pour corriger la française, Pierre Benoit fait montre de tout son talent d’écrivain. Marche en avant, en arrière, détours, embuscades, camaraderies de combat, fortes têtes, désobéissances, blessures, héroïsme, tout est conté avec véracité par un Pierre Benoit en pleine forme d’autant qu’il peut utiliser sa veine raciste, (il n’est pas le seul, qui, en 1934, considérait un Gabonais ou un Camerounais à l’égal d’un Parisien de la rue d'Assas?) en mettant en avant la naïveté, la fainéantise, la stupidité naturelles des indigènes, poncifs qu’à cette époque on ne craignait pas d’étaler. Mais après tout, quatre-vingt ans plus tard, le plus haut représentant de la France n’allait-il pas confirmer dans un discours aux Africains que " les peuples africains ne sont pas entrés dans l’histoire ", merci pour eux ! Non seulement on les y faisait entrer mais on les y enterrait.
Ces deux colonnes vont se massacrer sous les yeux d’un lecteur qui prend conscience de la flagrante inutilité de ce combat, les états-majors n’ont donné que de vagues ordres aux militaires, ceux-ci savent à peine où ils se trouvent, ignorent si la France et l’Allemagne sont encore en guerre et s’interrogent sur les motifs de s’entretuer.
Expédition sanglante qui n’est en fait que l’alibi de deux types, les commandants de colonne, La Ferté pour la française, et Von Wernert pour l’allemande, deux héros au grand cœur, parfaitement romanesques, se vouant à distance une admiration mutuelle, et se respectant entre eux au point que l’un finit par sauver l’autre, au prix du massacre des soldats de chaque camp. L’héroïsme tout symbolique des supérieurs est ainsi fait qu’il doit s’abreuver au sang bien réel, celui-là, des pauvres types.
Le Pierre Benoit pacifiste montre ici le bout de son nez.
Au fond, il voit poindre, en cette année 1934, un an après l’avènement d’Hitler au pouvoir, une nouvelle confrontation franco-allemande. L’art du roman ou du grand romancier est de ne cesser de nous questionner dans l’allégresse d’une lecture passionnante.

Au pinceau: Basquiat

lundi 3 septembre 2012


ENQUÊTE SUR L’ORIGINE DES FORTUNES

 

LE SIÈGE DE LONDRES
 

 
Deux jeunes Américains suffisamment désœuvrés pour se rendre à la Comédie-Française, assister à la représentation d’une pièce d’Emile Augier, L’Aventurière que nul aujourd’hui n’oserait rejouer, mais tout de même assez avisés pour n’y trouver aucun intérêt, s’ennuyant ferme, se poussent du coude, sur leur balcon, jumelles en main, pour observer les belles inconnues de l’assistance. Il faut dire qu’Augier c’est du Max Gallo mâtiné d’Alain Minc, un peu de patriotisme dans une sauce libérale, ça dégouline et en vers s’il vous plait.
Waterville et Littlemore, c’est leur nom, repèrent soudain un beau visage bien dessiné aux yeux rieurs, à la bouche souriante, orné au front de délicate boules de cheveux noirs et à chaque oreille, de diamants étincelants assez gros pour ne pas passer inaperçus d’un bout à l’autre du théâtre français, en qui Littlemore reconnaît une de ses compatriotes. Saperlipopette ! je la connais, ou même, nom de Dieu ! aurait fait Littlemore, si j’avais été l’auteur de ce Siège de Londres, ajoutant à l’intention du lecteur des indications précises sur les formes et les splendeurs offertes de la dite compatriote, mais c’est James, Henry de son prénom, le responsable de cette nouvelle qui comme son nom l’indique commence à Paris et dont le récit fait montre d’un érotisme maîtrisé d’autant plus efficace qu’il est impressionniste.
À l’entracte, appâtés, tous les deux, se précipitent au fumoir où ils rencontrent Mrs Headway et ses diamants qui pendent à ses oreilles. Revenant à leur balcon et à leur observation, ils tiennent ce dialogue :
- Headway, Headway, Où diable a-t-elle bien pu dénicher ce nom-là ?
- De son mari, je suppose, suggéra Waterville.
- De son mari, duquel ? Le dernier se nommait Beck.
- Combien en a-t-elle eu, s’enquit Waterville désireux de savoir en quoi Mrs Headway pouvait manquer de respectabilité.
- Je n’en ai pas la moindre idée.
C’est le début de cette nouvelle parue en 1883 qui pourrait s’intituler Enquête sur une dame au-dessous de tout soupçon au lieu du Siège de Londres, parce qu’un siège hein ! pas l’ombre d’un, à moins que James ne veuille parler d’un fauteuil anglais, genre Chesterfield. Mais j’y pense, Londres est une ville qui, à ma connaissance, n’a jamais fait l’objet d’un siège, au travers de mes maigres lumières historiques, je sais qu’elle a été bombardée mais oncques ne fut menacée par voie terrestre. Toute capitale normalement constituée a, au cours de son histoire, subi un siège, ou une occupation, de la naît peut-être la singularité de Londres, outre le fait qu’elle est bourrée d’Anglais, de cette absence de danger extérieur qui doit être inscrit dans ses gènes, car toute ville englobe son histoire, ses bouffées de violence comme ses périodes paisibles et les reproduit sans fin.
On y vient quand même à Londres parce que Mrs Headway, voulant réussir en Europe et briller notamment en Angleterre s’y installe et nourrit des visées de mariage très précises à l’encontre d’un baronnet plus jeune qu’elle, plutôt stupide, très amoureux et bien garni sur le plan financier, Sir Arthur Demesne, siégeant à la chambre des Lords, sorte de place où il s’agit de ne rien faire en se haussant du col.
Sir Arthur Demesne est orphelin de père et donc en possession d’une grosse fortune que sa mère Lady éponyme (je voulais le placer) essaie de protéger des convoitises de celle qu’elle considère déjà comme une aventurière, une Américaine pensez !
Pour une lady anglaise de cette époque, l’Amérique c’est rédhibitoire surtout lorsque la réputation de la ressortissante ne semble pas sans tache malgré une fortune respectable mais fort douteuse elle aussi. Mais madame si on connaissait l’origine des fortunes et de leur accroissement, la votre, ne serait à mon avis, guère plus honorable que la sienne. La mienne est désormais innocente, je l’ai bouffée. La morale des fortunes ce sont les prodigues qui la représentent le mieux.
C’était une femme charmante, en particulier pour le Nouveau-Mexique nous dit le narrateur avec son humour particulier, mais elle avait divorcé trop souvent- ce qui rendait sa crédibilité hasardeuse ; elle avait dû répudier plus de maris qu’elle n’en avait épousés.
A San Diego, elle résidait avec sa sœur, dont le dernier époux en date (elle aussi avait divorcé précédemment), l’homme le plus important de la ville dirigeait une banque à l’aide d’un revolver à six coups.
La constante du métier de banquier est le pillage, le sac, la razzia, la terre brûlée. Les armes ont changé, les financiers sont passés du revolver au mortier de campagne, ils tiraillent aussi rapidement qu’avant mais la productivité s’est améliorée, à chaque coup, il tombe beaucoup plus de victimes. Dans leur bureau climatisé, au-dessus de Wall Street ou dans un immeuble cossu de la City, tout en fixant des yeux l’appétissant derrière de leur secrétaire, les banquiers peuvent d’un trait de plume démolir une habitation, rayer un quartier ou une ville. Aujourd’hui, passés à une vitesse supérieure, ils savent affamer une nation complète, on brûle de connaître la prochaine étape de leur gigantesque appétit de ruines. Après avoir caressé la cape vernie de havanes impeccablement alignés dans leur boite d’acajou rangée sur leur bureau, entre la photo de leur femme et celle du siège de la banque, écouté la mélodie de la tripe, du cigare pas des femmes, en roulant un module entre leurs doigts devant leur oreille, et examiné, gloutons, la hausse de leurs valeurs financières, les types, en fin de journée, se lèvent, satisfaits, jetant un dernier coup d’œil respectueux sur le portrait en pied du fondateur de cet abattoir, au-dessus de la cheminée, appellent leur chauffeur, passent à leur club pour enfiler un Bourbon, un alcool je veux dire, pas un descendant de notre ex-famille consanguine et néanmoins royale, ou un Porto Vintage et vont faire leur golf ou leur polo, dans un quartier réservé où ni un noir, ni un Arabe, ne circulent, à la fin de la partie ils rendent visite à leur vieille mère et s’inquiètent de savoir si elle ne manque de rien, déployant devant elle des trésors de tendresse filiale qui la font fondre d’amour maternel, ils s’intéressent ensuite à la journée scolaire de leurs enfants, à leurs activités et aux notes qu’ils ont obtenus, enfin ils vont pisser et se couchent en rêvant à leur prochaine proie, tiens ! je pourrais me faire l’Espagne, se disent-ils en se retournant dans le lit, ou ces salauds de Français, oui, voilà, c’est ça ! la France, cette bande de fainéants, je vais me la taper, celle-là. Là-bas, disent-ils, en pensant à tous ces assistés et se souvenant de paroles historiques : l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort, on rencontre aujourd’hui le malheur, alors, on va te leur donner une de ces leçons, et ivres d’un lendemain qui chante et qui saigne, ils s’endorment, un sourire d’ange au coin de la gueule.
Je reviens à la nouvelle, quatre vingt pages tout de même, chez James il ne se passe pas grand chose mais il faut du temps et des lignes pour le dire et, ma foi, le lecteur, moi en tout cas ne s’en plaint pas d’autant qu’elles sont une occasion pour moi de raconter n’importe quoi. Lady Eponyme va faire des pieds et des mains (ce n’est pas la bonne expression pour une aristocrate anglaise chez laquelle tout se joue sur un quart de sourire, un toussotement ou un léger mouvement de tête, comme chez la reine d’Angleterre si on ne me croit pas, qu’on l’observe en train de saluer ses invités à Buckingham ou de se pencher sur un enfant) auprès de Littlemore et Waterville pour avoir le fin mot de l’histoire et savoir si elle peut lâcher son grand imbécile de fils dans les pattes de la reine du désert californien. Il faudra lire la suite, je ne veux pas faire tout le travail, pour connaître le fin mot de l’histoire. Je recommande ce Siège de Londres comme je recommande tout James.
Henry James est un talentueux écrivain, qui a l’air de ressasser des comparaisons continues entre les mœurs, les coutumes et les arts de vivre du nouveau monde et de la vieille Europe mais ses nouvelles que je lis dans l’ordre chronologique deviennent de plus en plus subtiles.
Ce n’est pas comme moi !