ALLUMEZ LE FEU
LADIVINE
Marie NDiaye est une femme puissante.
Elle narre des destinées humaines qui pourraient être banales mais que
son écriture, tour à tour vertigineuse, somptueuse, ou économe rend
fortes, denses, saisissantes et que son art du récit inscrit dans
l’histoire de la littérature.
Ladivine
nous réconcilie avec le contemporain. Ainsi on peut encore subir des
commotions littéraires comme nous les donnent les grandes œuvres du
catalogue, le plus souvent réduites au passé celles-ci, habillées de
cuir et d’or parce qu’on ne saurait plus en écrire de telles, et
toujours à portée de main car elles servent d’antidote, ainsi un roman
d’aujourd’hui peut encore nous brûler, ah ! ce n’était donc pas fini, il
n’était pas éteint, il n’était pas enterré sous la mode, la dérision,
le miroir de soi, le subconscient égoïste, la vanité, la cuistrerie, ce
souffle incandescent de l’écriture qui nous met en transes. <Ces
émotions que Dostoïevski, Conrad et tant d’autres nous ont communiquées
dans l’ardeur de nos nuits de veille peuvent à nouveau nous toucher, il
bougeait donc encore le cadavre de la littérature et quelqu’un a
retrouvé le secret de sa flamme, en frottant l’un contre l’autre des
mots entre ses mains.
Marie Ndiaye a allumé le feu. Et ce n’est pas qu’une chanson.
Je ne suis pas en train de dire mon
enthousiasme, j’écris seulement la réalité, je tente d’exprimer le
bouleversement que les lignes de Ladivine peuvent communiquer à
un lecteur. Elle existe derechef cette fébrilité du type se rongeant les
ongles, qui se dit, encore une page, encore une, avant de refermer le
livre et qui, une fois fermé, l’ouvre à nouveau, parce qu’il ne peut
l’imaginer qu’ouvert, allez quelques pages de plus, s’octroie-t-il,
parce que la poussée de ce fleuve en crue l’emporte, tête en haut, tête
en bas, vers des rivages inexplorés. L’avais-je déjà connue cette
exaltation en ouvrant un roman moderne ? Revivrai-je une autre fois
l’omniprésence d’un livre qui vous manque dès que l’on ne l’a plus sous
les yeux.
Ladivine
fut pour moi un éblouissement. J’en fais trop ? Je suis trop lyrique ?
Emphatique ? Trop zélé. Pourquoi pas ? Je m’en moque, nous avons
d’ordinaire si peu de raisons de l’être.
Bien sûr les thèmes que l’on rencontre dans Ladivine
sont les mêmes depuis que la littérature existe, l’amour, la mort, les
communications difficiles, les destins douloureux, les timidités
familiales, les tragédies, les fautes originelles qui ne s’effacent pas,
les faiblesses, les mensonges, les rachats qui vous fuient, cette
imprégnation des filiations que l’on refuse ou qui vous obsèdent, cette
quête métaphysique des origines, tout a déjà été dit, la littérature
n’invente pas, elle imagine seulement le réel mais elle surgit en
tempête lorsque ce qui est écrit sous nos yeux n’avait jamais été dit de
cette façon, sur ce ton-là, avec un tel art.
Marie NDiaye y ajoute ce qu’elle sait
faire à la perfection, le mystère qui, chez elle, confine à la magie et
qui n’ôte rien au réalisme de son œuvre.
Je m’en voudrais d’en rajouter, de
dévoiler quoi que ce soit, sauf qu’il faut lire ce livre pour sa
splendeur, pour ses évocations, pour les images qu’il renferme tour à
tour violentes, ou apaisées, pour éprouver, pour ressentir et pour se
rassurer comme moi sur la permanence de la littérature.
Marie NDiaye a obtenu le prix Femina pour Rosie Carpe, le prix Goncourt pour Trois femmes puissantes, avec Ladivine, elle monte encore d’un cran, resterait-il un prix qui récompenserait toute son œuvre et qu’elle mérite ?
Oui, sans doute !
Quelques liens:
Pour la sortie de "Moi et Diderot" (Et Sophie)
Puis Amazone et Fnac