mercredi 31 décembre 2014




"2015, ON VA ENCORE LES MASSACRER !

Chaque année, à la même époque, on s’évertue, en pure perte, à souhaiter aux uns et aux autres, des vœux de bonheur.
On ne pense jamais aux arbres.
Je le fais aujourd’hui, ils en ont bien besoin, victimes qu’ils sont de la criminelle pulsion des hommes :

 
MEILLEURS VŒUX AUX PLATANES

Voici pour le plaisir un petit extrait du roman de Jean Echenoz « Le Méridien de Greenwich », Editions de Minuit.
Comment dire mieux l’humanité des platanes ?


« …D’ailleurs, convinrent-ils, on s’habituait mal à cette flore antipodale, et principalement aux arbres. Plus que les autres végétaux, les arbres tout particulièrement semblaient s’exprimer dans un étranger radical, impénétrable, indéchiffrable. Qu’on était loin des arbres européens.
- Moi, dit Selmer, celui qui me manque le plus, c’est le platane.
- Ah, le platane, s’exclama Arbogast. Louons le platane.
Et ils firent l’éloge du placide platane, arbre domestique, voué à l’ornementation des routes nationales et des places publiques, équivalent végétal de la vache, elle-même vouée à la décoration des champs, arbre dont on dispose à volonté, que l’on intègre à l’ordre humain aussi facilement qu’un chien ou qu’une poule. A preuve de sa docilité, et comme de son abdication, le platane ne forme pas des bandes comme les autres arbres, plus sauvages. Selmer et Arbogast n’avaient pas le moindre souvenir de forêt de platanes ; peut-être y en avait-il, mais la chose était à peine imaginable : le platane était un gros arbre neutre et soumis, un castrat branchu. Sans doute d’ailleurs était-il mal vu par les autres essences ; il devait faire figure de mouton, de collaborateur, de jaune. Indolent et familier, inverse du baobab - ou, sans chercher si loin, du simple cyprès -, il était plus que tout autre démuni de dimension tragique, sauf quand une automobile s’écrasait contre son tronc, seule occasion de drame pour le platane, mais qui accentuait plus encore son statut d’arbre humain à l’extrême, socialisé jusque dans l’accident.
Ils épuisèrent le platane, passèrent au peuplier, puis au chêne, approfondirent le tilleul, s’attardèrent au pin, s’attendrirent sur le saule et finirent leurs bières. La nuit était tombée… »
















vendredi 26 décembre 2014

N°IX - O TANNENBAUM

DIX PETITS CONTES

N°IX - O TANNENBAUM


Des types ont sauté de pick-up à mitrailleuse, on a entendu des ordres et des cliquetis de culasse, ils ont déroulé des barbelés devant eux et après avoir établi des barrages dans les rues adjacentes, ils ont attendu, l’arme pointée.
Un chien passa en aboyant.
Une vieille femme aussi.
Une sono qui diffusait une musique d’ambiance baissa d’intensité, il allait se passer quelque chose, on le sentait.
Soudain un ordre :
« Feu ! ».
Une seule salve suffit.
Alors on vit une grosse tache rouge allongée par terre.
Les officiers s’avancèrent l’arme à la main.
La tache rouge bougeait encore, elle parla faiblement dans sa barbe blanche ensanglantée :
« Putain les gars, pourquoi moi ? Deux ans de chômage, je venais juste d’obtenir un CDD de rien du tout pour les fêtes et voilà que… »
On l’avait pourtant dit : « pas de Père Noël, en ville ! ».
L’un deux tira le coup de grâce sous le bonnet du bonhomme dont la tête éclata tandis qu’à la sono publique, les chants reprirent leur volume normal.
Les portières claquèrent, une balayeuse passa, la rue retrouva son rythme habituel.
O Tannenbaum, O Tannenbaum.

lundi 22 décembre 2014

N°VIII - SERIAL KILLER




N°VIII - SERIAL KILLER


Cette nuit-là, aux urgences de l’hôpital, le personnel médical crut à une épidémie spontanée, des hommes et des femmes, arrivaient, livides, vomissant un magma glacé, ils se couchaient sur le côté, poussaient un cri et paf ! morts !
Les médecins étant en vacances aux sports d’hiver, les infirmières étaient débordées et les ambulanciers menaçaient de se mettre en grève.
Les policiers levèrent un œil, puis l’autre, et saluant le président de la république plein de chiures, de mouches - son portrait ornant le bureau de tous les commissariats de police de France - trouvèrent que ça faisait beaucoup de morts cette histoire d’indigestion, ils firent une enquête. Ils ne trouvèrent rien.
On était en train d’oublier l’affaire lorsque le jeune apprenti d’un pâtissier de la ville vint déposer une plainte parce que son patron avait tenté de le sodomiser sous la menace d’une arme.
Quelle arme ? lui demanda-t-on.
Une bûche glacée.
Une bûche glacée ?
Une policière stagiaire fut prise d’une illumination : Votre patron le soir de Noël, que faisait-il ?
Je ne l’avais jamais vu aussi excité, dit le mitron, ce soir-là, il a garni le coffre de sa voiture de bûches glacées, il est revenu quelques heures après, apaisé et ayant tout livré.
Mon Dieu, fit la stagiaire, les morts de Noël, c’était lui !
On le confondit grâce à l’ADN.
Il finit par s’expliquer.
Un de ses clients, lui avait dit : Votre bûche glacée, là, elle est dangereuse, c’est une sorte de béton, vous ne trouvez pas ? D’ailleurs tout le monde le dit. Ah, c’est comme ça, avait-il fait, ils vont voir un peu. Il avait passé la nuit à retrouver tous ses clients, l’un après l’autre, et à leur enfoncer une bûche glacée, en entier, dans le gosier jusqu’à la glotte.
Cette affaire fut appelée : Massacre à la bûche glacée.

vendredi 19 décembre 2014

N°VII - L’ÉCHO DE NOS MONTAGNES

DIX PETITS CONTES 
  
 


N°VII - L’ÉCHO DE NOS MONTAGNES



 J’ai trouvé une première brebis, les pattes arrière brisées, un peu plus loin une seconde dont on avait arraché les sabots, d’autres encore, disséminées, puis je suis tombé sur une hécatombe, ça et là des brebis gisaient, à toutes il manquait quelque chose, qui une tête, qui un cou, qui des yeux, qui une langue. Spectacle de désolation ! Soudain m’apparut un bœuf, affaissé sur ses genoux, on lui avait brisé les pattes avant, il semblait en prière. Pas loin de lui on avait déchiqueté un berger, on reconnaissait le bâton et sa veste de laine, mais sa tête avait éclaté, son bassin aussi et il n’avait plus qu’une seule main. Le massacre a empiré, je vis successivement une bonne femme en robe bleue, décapitée, dépassant d’un voile blanc, sa longue chevelure blonde se devinait sous la paille qui jonchait le sol, un âne, couché sur le flanc, débarrassé de son côté droit, les oreilles détachées, un type à barbe, à l’air con, coupé en deux, et un enfant sans jambes dont les bras brisés pendaient à l’extérieur d’un berceau. Quelque chose cheminait dans ma tête, une explication, des raisons de comprendre ce qui s’était passé, lorsqu’un type arriva dans mon dos en hurlant : vous l’avez vu, vous l’avez vu ? Qui ? Cet ivrogne qui passait, vous ne l’avez pas vu ? Il a emporté ma crèche de Noël, c’est lui qui a tout cassé, regardez, regardez, on le suit à la trace. Il s’appuya sur le mur et se mit à pleurer. Je ne trouvai rien de plus malin à lui dire que : Ce n’est que du vulgaire plâtre, remettez-vous, bon sang ! Les anges, dans nos campagnes, aux ailes froissées, m’ont regardé l’air mauvais.

lundi 1 décembre 2014


DIX PETITS CONTES



                                       

                                     N°VI - CESSER DE BOIRE


La télé n’en finissait pas de montrer l’excellence du savoir faire français, exposant comme des œuvres d’art, dans ce salon aéronautique qui se tenait annuellement, ouvert à tous, même aux enfants, des armements, des matériels de guerre et, dernières nouveautés, des avions furtifs et des bombes intelligentes, les militaires sont meilleurs que les écrivains pour attribuer un nom à des saletés. Des types galonnés répondaient à des questions pertinentes sur le nombre de morts que pouvait faire tel missile, qu’il soit air/sol, sol/air, sol/sol, et sol/sur ta face, bouffon, etc. etc, à qui on les vendait ? si les affaires marchaient ? Oui, oui, disaient-ils, du feu de Dieu, on pétarade.
Quand donc se débarrassera–t-on des ces matamores, fis-je en tendant mon verre que je venais de vider, souhaitant le remplir d’une nouvelle charge d’Islay, sorte de bombe au phosphore, single malt de 15 ans d’âge, aussi délicieux qu’un sous-marin atomique convoité par une puissance émergente.
Fatigué de mes déclarations pacifistes, lui, installé à côté de moi, me dit, dans le son cristallin du scotch heurtant les flancs du verre :
- Mais mon vieux, l’armée n’est pas une concession à la guerre, c’est au contraire l’instrument qui signifie notre désir de nous y opposer.
Beau sophisme.
Soigne-t-on le mal par le mal ?
Je dis :
- Un glaçon ou deux, merci.
Puis :
- Tu sais, j’ai connu un ivrogne qui ne cessait pas d’arrêter de boire.
- Ah bon, fit-il.
- Un jour, je lui dis, pourquoi te remets-tu chaque fois à boire ?
- Lorsque je ne bois plus, répondit-il, je n’ai plus la connaissance de ce qui me cause tant de mal, alors je me remets à boire pour mieux comprendre les dangers auxquels je dois échapper.
Nous ne cessons jamais de boire.
Nous faisons la paix pour mieux profiter de la guerre.
Je ne sais même pas si c’est la morale de cette histoire.
Peux-tu me resservir, s’il te plait ?