vendredi 3 avril 2015

LES CHATS D’OSAKA


Toute sa vie il s’était pris pour un thon rouge à cause de la Méditerranée qu’il aimait tant.
Il chérissait cette mer non pas pour l’eau qui remplissait ses flancs mais pour les terres qui la découpaient. S’extrayant parfois de son banc, sautant au-dessus de ses congénères et contemplant ses rivages, il ressentait une grande fierté de lui appartenir, de rôder, libre et puissant, à l’intérieur de ses lignes brisées, longeant ses plages, heurtant ses promontoires et remontant ses estuaires.
Combien de fois, passant au large de Rome, s’était-il cru César ou kaiser à Trieste, tsar à Sébastopol, sultan à Istanbul, raïs au Caire, pharaon à Memphis, négus à Addis-Abeba, bey à Tunis, gouverneur à Alger, tyran à Syracuse, comte à Barcelone, président de la république à Marseille, tous les potentats locaux, les Cléopâtre aux seins d’albâtre, les princes des déserts, et les despotes sanguinaires, défilaient devant lui, il les reconnaissait, il se racontait leur histoire, et il faisait des bonds de joie au-dessus des rouleaux, alors que flottaient encore autour de lui les bois brûlés des batailles passées, Salamine, Lépante, Aboukir, Odessa, et les os blanchis des marins sacrifiés.
Et maintenant, il se trouve là, abandonné.
Il entend encore ce cri de fureur lorsque d’un coup de couteau, on le transperça, devant des faces jaunies, dans cette halle hurlante, vide d’eau et emplie de puanteurs cruelles :
« Nom de Dieu, il est blanc ! »
Il se croyait rouge, il n’était que blanc
Il gît sur ce trottoir où on l’a jeté, blessé à mort, les flancs palpitant encore, séparé des siens qui l’avaient toujours accompagné et qui le sachant différent l’avaient accepté comme un des leurs, sans un reproche, ni la moindre remarque, lui agonisant si loin des horizons qui avaient tenu une telle place dans sa vie, des criques devant lesquelles il croisait, des visages de l’histoire dont cette terre regorgeait, entouré des chats d’Osaka qui lui mangent déjà les ouïes.

lundi 30 mars 2015

DJIHAD POUR V.I.P


Il vendit son usine, sa femme et ses enfants, dont il obtint un bon prix, (de l’usine), il assista à des conférences sur la géographie et sur l’histoire africaine, fit d’intenses préparatifs de voyage, interrogea les uns et les autres, passa des diplômes de droit international et disparut un jour.
On le retrouve à Syrte, il y débarque avec armes et bagages et continue de s’équiper sur le marché local où on trouve de tout, même des avions, il négocie l’achat de deux super étendards auxquels il manquait des pièces et qui volaient comme des crabes, mais après avoir décollé on parvenait à les poser ce qui est au fond l’essentiel en matière d’aviation, il se procure aussi des bombes intelligentes auxquelles un accident vasculaire avait dû endommager une partie du cerveau car beaucoup pétaient entre les mains, et choisit une cinquantaine de pick-up 4x4 dépareillés et à bout de souffle mais d’origine japonaise, puis promettant des centaines de vierges à quelques désœuvrés qui attendaient la fin du marché pour piquer les pneus rechapés et les écrous tombant des camions, il les recrute, eux qui étaient loin de penser que cet étranger se préoccuperait de leur sexualité.
Il se met un torchon sur la tête, distribue des corans et des kalachnikovs et fonce dans le désert. S’arrêtant dans la poussière et les figuiers du côté de Sebbah, il fait descendre tout le monde, trace des frontières à grandes enjambées dans le sable, délimitant ainsi chaque côté de son territoire qu’il entoure d’un mur d’enceinte en boue séchée sur lequel il poste ses hommes et, dans un geste de propriétaire, englobant tout l’espace autour de lui, accroupi sur un tapis et sous un figuier, il dit : Tout ceci m’appartient, je suis le calife.
On l’appela le calife des figuiers.
Personne ne le dérangea, il fit fortune, pas avec les figues bien sûr, avec la drogue et les rançons, mais surtout grâce au pétrole trouvé à l’intérieur de ses limites qu’il vendit au plus offrant et au moins regardant.
Il s’ennuya, car la fortune est un abrutissement, je l’écris mais ne le pense pas, revint en Europe, tente de récupérer sa femme et ses enfants qui l’envoient à la pèche, alors il se coiffe d’un capuchon et entre dans un couvent qu’il finit par acheter car il aime plus les affaires que la prière et se plaçant au milieu du chœur sous les vitraux de la Nativité, il proclame : Je suis St. Benoît.
On le prend pour Judas, alors il vend le couvent à des musulmans, fourgue les moines à Pôle emploi, refait fortune, achète deux avions, et repart dans le désert.
Quand c’est fini, n i , n i, ça recommence ! chantait Léo Ferré.

lundi 16 mars 2015

OBLOMOV


Il n’avait plus envie de rien.
Il ne sortait pas de sa maison lorsqu’il pleuvait et n’en bougeait pas non plus quand il faisait beau. Il ne souhaitait ni dormir, ni rester éveillé, se plaignant de s’endormir lorsqu’il était éveillé ou de se réveiller lorsqu’il était endormi.
Il n’était pas capable d’écouter plus de deux mesures du « Voyage d’hiver », et de boire plus de deux cuillerées de la soupe aux truffes noires qu’il préparait pourtant à merveille. Il ne faisait plus l’amour, ne tournait plus les pages d’un livre, ne regardait plus les étoiles, n’enfilait plus ses chaussettes, ne lisait plus un seul commentaire sportif dans son quotidien.
Parfois il avait l’impression d’être emporté au fil de l’eau, tel un chien mort, ballottant dans les remous, touchant une rive puis l’autre, cadavre raidi plongeant et surgissant, les pattes en l’air ou le museau à fleur d’eau, jusqu’à ce qu’un amas de branchages, le retienne, tournoyant dans une anse, désormais à la disposition des poissons, des oiseaux et des rats.
Et à d’autres moments, il n’était qu’un lichen de forêt nordique, attaché à son arbre, à peine oscillant au vent glacé de l’Arctique, insensible à l’humidité, au froid et aux caribous.
Quelque chose de la vie l’abandonnait, son âme s’évanouissait et le monde jour après jour lui devenait indifférent, il avait le sentiment que cette terre qu’il avait tant aimé, se dénudait, perdait ses atours, comme une jeune fille se déshabillant devant lui à qui chaque vêtement ôté enlèverait peu à peu l’essentiel de son charme et de son mystère..
Tout le lassait, tout le saoulait, le bruit d’un papillon le dérangeait, le vent dans les platanes l’irritait et les petits portraits qu’il s’amusait à faire, saynètes ou contes ou fables ou petits riens, appelez les comme vous voudrez, ne l’amusaient plus.
Et même celui-ci, il jeta son papier par la fenêtre, il ne le finirait pas !

La tramontane qui l’emportait l’a déposé devant ma porte.

mardi 24 février 2015


ITINÉRAIRE D’UN VOYEUR


C’est comme si elle ne me voyait pas, d’ailleurs comment le pourrait-elle ?
Les surprendre dans leur intimité est mon vice favori.
Par la porte entrebâillée, je l’observe, elle et ses formes rondes, élancée, belle, hiératique, sombre malgré un rayon de soleil venu du jardin, tout animé encore du frémissement des fleurs et des feuilles entre lesquelles il s’est glissé, et qui, sans la toucher ou l’effleurant à peine, donne du relief à ses flancs et des reflets cuivrés à sa robe.
C’est le meilleur du désir ces instants volés tout chargés des mystères qui ne nous sont pas destinés, que pourtant nous faisons aussitôt nôtres, ces moments où le plaisir s’attise sans que l’objet qui va le satisfaire n’en ait conscience, sans qu’il imagine la violence de la passion qu’il est en train de concentrer.
Flottant sous mon nez dont les ailes frémissent, tous les parfums m’environnent déjà, le sentiment d’un corps et d’une chair m’envahit, alors je reconstitue les gestes que je vais faire, la prendre par l’épaule, la pencher doucement, flatter ses rondeurs de ma main, toucher son cul, y glisser mes doigts, m’abreuver à ses humidités, tout est là, je suis en feu.
Elle m’attend, fraîche et dégoulinante.
Allez, j’entre.
Oh, tu sais, je me suis déjà tapé tes cousines, elles ne m’en veulent pas, bien au contraire, elles ont cédé sous mes assauts, aucune goutte n’a été perdue du plaisir qu’elles ont pris et de celui qu’elles m’ont donné, j’ai encore à l’oreille le son cristallin de leur libération, je les ai laissées pantelantes, vidées.
Léoville Poyferré et Léoville Barton, à l’ombre de st. Julien, ont gémi sous l’ardeur de ma langue, tu verras le bonheur que nous allons vivre.
À nous deux, ma garce !
Elle n’a pas jeté un regard vers moi, elle était condamnée à l’amour, mon verre de cristal à la main, mon tire bouchon dressé, je me suis approché de ma bouteille de Léoville Las Cases 1990, elle était prête, je la gardais dans ma cave depuis tant d’années.
Son temps de jeune fille était fini.
Elle allait y passer comme les autres
Je suis un insatiable amant.

jeudi 12 février 2015

LES HÉMORROÏDES DE LA MAJA NUE

On vient de se rendre compte, grâce à des techniques scientifiques très sophistiquées que la Joconde relevait de couches.
C’était évident, enfin !
Comme il est évident que :
La Vénus de Milo souffrait d’aérophagie.
Le penseur de Rodin avait des cors aux pieds.
La Maja nue ne parvenait pas à se débarrasser de ses hémorroïdes.
Le crieur de Munch se plaignait de ses dents.
Les joueurs de cartes de Cézanne puaient des pieds.
L’origine du monde avait une légère alopécie.
Le Christ jaune de Gauguin était atteint de cirrhose.
Les demoiselles d’Avignon avaient la syphilis.
Le docteur Gachet avait mauvaise haleine.
L’odalisque avait du poil aux jambes.
Marianne ne sait pas faire de fellation.
Les danseuses de Degas ne portaient pas de culotte.
Sardanapale avait un tout petit zizi.
(Et moi non)
Les nymphéas de Monet étaient infestés de pucerons
Les women de de Kooning aussi.
La montagne sainte Victoire n’a jamais existé.
Et dans la Cène de Vinci on se demande si le vin n’était pas un peu piqué.

Les artistes ne peignent que des contingences

vendredi 30 janvier 2015


ON VA DANS LE MUR

Des types, dans la rue, couraient comme des dératés.
Où allez-vous ? dis-je à l’un, essoufflé, qui galopait, attaché case en main, cravate en bandoulière flottant derrière son cou.
Dans le mur, dans le mur.
Une jeune fille me passa devant, courant elle aussi, sa jupe s’ouvrait en corolle, on voyait sa culotte.
Et vous ?
Dans le mur, dans le mur.
Celui-ci, allant dans l’autre sens, me dit en passant :
Je n’ai pas trouvé le mur, je file de l’autre côté pour voir. Je finirai bien par le rencontrer.
Un qui paraissait avoir cent ans, qui ne courrait plus, et se hâtait avec lenteur, me dit, la voix chevrotante :
Moi, monsieur, je cherche ce putain de mur depuis soixante ans.
Je finis par comprendre. La veille, une émission de télévision opposant quelques économistes avait tourné autour de cette prédiction qu’on allait dans le mur, l’un l’affirmait parce que la France dépensait trop, l’autre parce qu’elle ne dépensait pas assez, les pauvres sont trop pauvres, disait son voisin, on finira dans le mur, ils ne foutent rien surtout, aboya un autre en face de lui, nous allons dans le mur, les riches sont trop riches et se tapent de trop belles femmes sur leur yacht, fit un dernier, tout ça finira dans le mur. Ils n’étaient d’accord sur rien, sinon qu’il y avait un mur devant nous et qu’on allait s’y aplatir la face.
Alors tous, dans la rue, ce matin, comme s’ils s’étaient donnés le mot, pensèrent qu’il valait mieux en finir tout de suite en se jetant sur ce mur qui était si proche. Ils couraient, ils couraient.
Moi-même ,j’étais en train d’hésiter, regardant à droite, à gauche, cette foule qui s’agitait, se bousculait, s’insultait, en une cohue de fin du monde, lorsque paf ! je pris un mur en plein visage.
Ce n’était que le mur de ma maison.
Patience, me dis-je, tu finiras bien un jour dans le mur, le vrai.

lundi 26 janvier 2015

NE PAS AVOIR DROIT À L’ERREUR


NE PAS AVOIR DROIT À L’ERREUR


Il avait traversé la rue Montmartre, était entré dans un café, les yeux dans le vide, il s’était installé au bar, la vie lui avait infligé bien des vicissitudes, son visage, reflété par la glace du comptoir, en portait les stigmates.
Tout petit il fut renvoyé de son école car il avait tenté d’y mettre le feu après avoir enfoncé un compas dans les fesses de sa maîtresse ensuite tout s’était harmonieusement enchaîné la casquette à l’envers monté sur sa planche à roulettes il terrorisait les passants sur les trottoirs il viola sa cousine dans un ascenseur chevauchant une vespa volée il écrasa une vieille sur un passage clouté entrant et sortant de prison après avoir vendu de la drogue aux équipes sportives et aux vedettes du show biz il profitait des espaces de liberté pour s’inscrire à l’UMP escroquer la sécurité sociale chanter avec les enfoirés lire les œuvres complètes de Zemmour faire l’amour avec Mimi Mathy partir au djihad en Syrie divorcer trois fois après avoir tabassé toutes ses femmes abandonner toute ponctuation écrite orale et même mentale perdre de vue ses enfants se faire élire député européen grâce à une fraude électorale être obligé de démissionner pour corruption active et passive tomber d’une échelle de pompier être empoisonné par une huître d’Arcachon se faire poursuivre par des indiens au Montana se pacser puis se marier avec un type à moustache bouffé un veau sous la mère et la mère qui allait avec déféquer dans le bureau du juge d’application des peines tuer douze mille chatons en les explosant contre un mur élever des escargots albinos vider les stocks d’une distillerie écossaise servir du cochon de lait rôti à l’ayatollah Khomeyni jusqu’au moment où n’ayant jamais cessé de se tromper on le retrouve dans ce café de la rue Montmartre sa main gauche accrochée à la barre de cuivre qui court le long du bar tendant en oscillant la droite vers le verre de bière qui se trouve devant lui et s’inquiétant de savoir s’il parviendra à s’en saisir sans le renverser et tandis que l’on note son intense réflexion et la résolution qui naît de cet ultime défi on l’entend dire deux points
La vie ne t’a guère fait de cadeau mais cette fois-ci virgule mon vieux virgule tu n’as pas droit à l’erreur point d ‘exclamation
Sa main s’approche en tremblant des flancs du verre qu’il étreint virgule qui parvient à ses lèvres et qu’il avale d’une traite point
Réussi point d’exclamation
Entamait-il son rachat point d’interrogation
Poil au menton

ON S’AMUSE COMME ON PEUT

(Poil au nœud, j'allais oublier)

jeudi 8 janvier 2015

DIX PETITS CONTES (LE 11ème EN PROMO)


N°XI - L’ÉTOILE DU BERGER


Un groupe de trois individus richement vêtus, traversa la rue St. Honoré. Costume Versace pour l’un, dans le genre Quatari, Thierry Mugler pour l’autre qui arborait un air extrêmement oriental, Calvin Klein pour le dernier, un grand black aux mains comme des battoirs, style joueur de basket-ball, ils portaient aux pieds des escarpins hors de prix, sur les yeux des lunettes inestimables, ils étaient chapeautés aussi luxueusement que la reine d’Angleterre, et ne parlons pas des sous-vêtements, pas ceux de la reine, du trio, ils devaient être en soie d’origine chinoise, dynastie Ming.
Ils passèrent sous une porte cochère gardée par des gens en uniforme.
À l’intérieur, on leur demanda ce qu’ils voulaient.
Nous venons pour un avènement, dirent-ils.
Non, pas ici, messieurs.
Le GPS, nous a foutu dedans, dit le black, en regardant sa rolex.
Non, vous ne vous êtes pas trompés, mais il n’est pas là pour le moment.
Nous avions des cadeaux.
Vous pouvez les laisser dans ce coin.
Ils déposèrent une enveloppe fermée contenant un chèque d’un milliard de dollars, la clef d’une usine clef en mains, et un livre de recettes pour faire payer les riches. Ils partirent, déçus de ne pas avoir rencontré le nouveau venu dont on leur avait dit tant de bien. Ils laissèrent une carte de visite sur laquelle ils écrivirent : Nous vous laissons ce petit acompte, ne vous ayant pas trouvé, nous allons porter le reste aux Allemands.
Lorsque, en provenance d’un sommet quelconque, vint l’élu, un huissier lui dit : monsieur le Président, trois types ont déposé ceci à votre intention.
Et vous ne leur avez pas dit que j’arrivais, bon Dieu, fit-il après avoir ouvert l’enveloppe, c’étaient des émissaires du FMI, on les appelle les rois mages, des milliards de dollars nous passent sous le nez, je suis foutu et la France aussi !
Depuis ce jour, on ne cesse de nous vanter le modèle allemand.
Je t’en foutrai du modèle allemand, maugrée le Président, en enfourchant son scooter, d’ailleurs le premier modèle allemand que je rencontre, je me le tape.