lundi 30 mars 2015

DJIHAD POUR V.I.P


Il vendit son usine, sa femme et ses enfants, dont il obtint un bon prix, (de l’usine), il assista à des conférences sur la géographie et sur l’histoire africaine, fit d’intenses préparatifs de voyage, interrogea les uns et les autres, passa des diplômes de droit international et disparut un jour.
On le retrouve à Syrte, il y débarque avec armes et bagages et continue de s’équiper sur le marché local où on trouve de tout, même des avions, il négocie l’achat de deux super étendards auxquels il manquait des pièces et qui volaient comme des crabes, mais après avoir décollé on parvenait à les poser ce qui est au fond l’essentiel en matière d’aviation, il se procure aussi des bombes intelligentes auxquelles un accident vasculaire avait dû endommager une partie du cerveau car beaucoup pétaient entre les mains, et choisit une cinquantaine de pick-up 4x4 dépareillés et à bout de souffle mais d’origine japonaise, puis promettant des centaines de vierges à quelques désœuvrés qui attendaient la fin du marché pour piquer les pneus rechapés et les écrous tombant des camions, il les recrute, eux qui étaient loin de penser que cet étranger se préoccuperait de leur sexualité.
Il se met un torchon sur la tête, distribue des corans et des kalachnikovs et fonce dans le désert. S’arrêtant dans la poussière et les figuiers du côté de Sebbah, il fait descendre tout le monde, trace des frontières à grandes enjambées dans le sable, délimitant ainsi chaque côté de son territoire qu’il entoure d’un mur d’enceinte en boue séchée sur lequel il poste ses hommes et, dans un geste de propriétaire, englobant tout l’espace autour de lui, accroupi sur un tapis et sous un figuier, il dit : Tout ceci m’appartient, je suis le calife.
On l’appela le calife des figuiers.
Personne ne le dérangea, il fit fortune, pas avec les figues bien sûr, avec la drogue et les rançons, mais surtout grâce au pétrole trouvé à l’intérieur de ses limites qu’il vendit au plus offrant et au moins regardant.
Il s’ennuya, car la fortune est un abrutissement, je l’écris mais ne le pense pas, revint en Europe, tente de récupérer sa femme et ses enfants qui l’envoient à la pèche, alors il se coiffe d’un capuchon et entre dans un couvent qu’il finit par acheter car il aime plus les affaires que la prière et se plaçant au milieu du chœur sous les vitraux de la Nativité, il proclame : Je suis St. Benoît.
On le prend pour Judas, alors il vend le couvent à des musulmans, fourgue les moines à Pôle emploi, refait fortune, achète deux avions, et repart dans le désert.
Quand c’est fini, n i , n i, ça recommence ! chantait Léo Ferré.

lundi 16 mars 2015

OBLOMOV


Il n’avait plus envie de rien.
Il ne sortait pas de sa maison lorsqu’il pleuvait et n’en bougeait pas non plus quand il faisait beau. Il ne souhaitait ni dormir, ni rester éveillé, se plaignant de s’endormir lorsqu’il était éveillé ou de se réveiller lorsqu’il était endormi.
Il n’était pas capable d’écouter plus de deux mesures du « Voyage d’hiver », et de boire plus de deux cuillerées de la soupe aux truffes noires qu’il préparait pourtant à merveille. Il ne faisait plus l’amour, ne tournait plus les pages d’un livre, ne regardait plus les étoiles, n’enfilait plus ses chaussettes, ne lisait plus un seul commentaire sportif dans son quotidien.
Parfois il avait l’impression d’être emporté au fil de l’eau, tel un chien mort, ballottant dans les remous, touchant une rive puis l’autre, cadavre raidi plongeant et surgissant, les pattes en l’air ou le museau à fleur d’eau, jusqu’à ce qu’un amas de branchages, le retienne, tournoyant dans une anse, désormais à la disposition des poissons, des oiseaux et des rats.
Et à d’autres moments, il n’était qu’un lichen de forêt nordique, attaché à son arbre, à peine oscillant au vent glacé de l’Arctique, insensible à l’humidité, au froid et aux caribous.
Quelque chose de la vie l’abandonnait, son âme s’évanouissait et le monde jour après jour lui devenait indifférent, il avait le sentiment que cette terre qu’il avait tant aimé, se dénudait, perdait ses atours, comme une jeune fille se déshabillant devant lui à qui chaque vêtement ôté enlèverait peu à peu l’essentiel de son charme et de son mystère..
Tout le lassait, tout le saoulait, le bruit d’un papillon le dérangeait, le vent dans les platanes l’irritait et les petits portraits qu’il s’amusait à faire, saynètes ou contes ou fables ou petits riens, appelez les comme vous voudrez, ne l’amusaient plus.
Et même celui-ci, il jeta son papier par la fenêtre, il ne le finirait pas !

La tramontane qui l’emportait l’a déposé devant ma porte.