lundi 16 mars 2015

OBLOMOV


Il n’avait plus envie de rien.
Il ne sortait pas de sa maison lorsqu’il pleuvait et n’en bougeait pas non plus quand il faisait beau. Il ne souhaitait ni dormir, ni rester éveillé, se plaignant de s’endormir lorsqu’il était éveillé ou de se réveiller lorsqu’il était endormi.
Il n’était pas capable d’écouter plus de deux mesures du « Voyage d’hiver », et de boire plus de deux cuillerées de la soupe aux truffes noires qu’il préparait pourtant à merveille. Il ne faisait plus l’amour, ne tournait plus les pages d’un livre, ne regardait plus les étoiles, n’enfilait plus ses chaussettes, ne lisait plus un seul commentaire sportif dans son quotidien.
Parfois il avait l’impression d’être emporté au fil de l’eau, tel un chien mort, ballottant dans les remous, touchant une rive puis l’autre, cadavre raidi plongeant et surgissant, les pattes en l’air ou le museau à fleur d’eau, jusqu’à ce qu’un amas de branchages, le retienne, tournoyant dans une anse, désormais à la disposition des poissons, des oiseaux et des rats.
Et à d’autres moments, il n’était qu’un lichen de forêt nordique, attaché à son arbre, à peine oscillant au vent glacé de l’Arctique, insensible à l’humidité, au froid et aux caribous.
Quelque chose de la vie l’abandonnait, son âme s’évanouissait et le monde jour après jour lui devenait indifférent, il avait le sentiment que cette terre qu’il avait tant aimé, se dénudait, perdait ses atours, comme une jeune fille se déshabillant devant lui à qui chaque vêtement ôté enlèverait peu à peu l’essentiel de son charme et de son mystère..
Tout le lassait, tout le saoulait, le bruit d’un papillon le dérangeait, le vent dans les platanes l’irritait et les petits portraits qu’il s’amusait à faire, saynètes ou contes ou fables ou petits riens, appelez les comme vous voudrez, ne l’amusaient plus.
Et même celui-ci, il jeta son papier par la fenêtre, il ne le finirait pas !

La tramontane qui l’emportait l’a déposé devant ma porte.

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