EXAMEN ANATOMIQUE (ET SURTOUT GÉNITAL) D’UN POLAR
METS TON DOIGT OÙ J’AI MON DOIGT
C’est curieux tous ces gens, hein ? ne se décourage-t-elle pas.
Dans une petite note, en bas de la
page 153, l’auteur explique que les romanciers (les mauvais plutôt,
encore que les bons parfois…) ont la marotte de ponctuer leurs
dialogues, de cette façon : se contenta-t-il d’avouer, ou bien, crut-elle bon d’intervenir,
il s’y livre donc lui aussi, manière de nous faire comprendre le
ridicule de cette manie d’écrivain, qui n’a guère cessé, qui aujourd’hui
prospère même, décidé-je d’insister .
Page 156, il nous sort :
Non, pour moi, c’est terminé, n’hésite-t-elle pas à le décevoir.
Et il demande au lecteur, toujours dans une petite note en bas de page : T’aimes : N’hésite-t-elle pas à le décevoir ?
À la page 170, il clôture cet exercice stylistique de détestation, par un :
Le hasard, je t’en fais cadeau, Doc, regarde-son-verre-vide-t-il.
Sans commentaire cette fois, mais
l’auteur a amené son lecteur où il voulait. Cette critique appliquée et
progressive est une belle invention d’écrivain.
Je suis très bon client de ce genre d’exercice, mieux, si je trouvais des drôleries de ce style dans les Pensées de Pascal ou dans les Méditations poétiques
de Lamartine, cela me comblerait de joie et jouer à ça à l’intérieur
d’un polar dénote une fière liberté d’auteur. Faire de la littérature en
ayant l’air de s’en moquer tout en brocardant la mauvaise, c’est du
grand art !
Pascal : Non, je vous en supplie,
ne désespérez pas, coassé-je, car pour croasser il me faudrait un " r ",
et je n’ai même pas la force de m’en rouler un.
Je me demande si c’est bien le même Pascal.
En revanche on a sans doute reconnu
Frédéric Dard dans son exercice policier de San Antonio qui a beaucoup
égayé ma jeunesse, éveillé mes sens, qui m’a appris que la littérature
n’était pas cette vieille dame un peu rêche que les enseignants, malgré
leur bonne volonté, ne parvenaient pas à dépouiller de son poil au
menton, chez qui ils n’arrivaient pas à déceler cet érotisme toujours
latent qu’à coup sûr elle contient, qui ne nous montraient pas les
dessous affriolants que pourtant elle ne cesse d’agiter sous nos nez et à
qui un léger glissement de compréhension et d’explication aurait suffi
pour nous la livrer toute chaude et épicée, la littérature, je veux
dire.
Pourquoi pas quelques San Antonio dans
les programmes, saupoudrant les grandes œuvres qui, du coup, auraient
paru ludiques, elles aussi, car un écrivain, un grand, que fait-il
d’autre que jouer avec les mots ?
L’éveil des sens, oui, ô combien, ici, par exemple dans ce mets ton doigt où j’ai mon doigt paru en 1979, sous Giscard, ineffable écrivain de l’Académie française à qui nous devons l’inoubliable roman Le passage,
voici San Antonio en action. Alerté par un gémissement, le commissaire
pénètre dans le cabinet médical du docteur Adhémar Rapière, là, dans un
capharnaüm de revues médicales amoncelées comme après un tremblement de
terre en Chine, il aperçoit sur une table d’examen aux repose-jambes
largement déployés, une dame à qui le médecin, installé entre ses
cuisses, sur un prie-dieu, est en train de faire une magistrale tyrolienne à crinière.
Je crois savoir de quoi il s’agit. Le commissaire laisse se poursuivre
la consultation et la dame, très satisfaite, après un ahhhaahhh
illimité, se lève, se reculotte, se rechausse, se remet, se recoiffe, se
repoudre puis paie son médecin, tandis que celui-ci remplit
l’ordonnance.
C’est aussi une forme de soin, dit-il à
San Antonio, en se léchant encore les babines, en tout cas personne ne
se plaint (elles auraient mauvaise grâce à se plaindre, c’est remboursé
par la sécurité sociale, dites) car je traite ainsi la moitié des femmes
du canton et pour vous, qu’est-ce que ce sera ?
Le commissaire : Euh, non, je ne viens pas pour la même chose, s’empresse-t-il de se défendre.
Je commence à avoir des réflexes d’écrivain à succès, une aube de gloire se lève, me hâté-je de m’admirer.
Ce Rapière qui s’est instauré
président de la S.M.T.C, Société des Minettes Toutes Catégories dont le
blason représente une langue pendante stylisée, conte sur trois pages
les nobles buts humanitaires de cette O.N.G, ses techniques
d’intervention et ses résultats époustouflants.
Voilà, j’avale un San Antonio comme un
petit blanc frais sur des huîtres, d’ailleurs, et c’est bon signe, le
vin tient une grande importance chez cet auteur, toutes les appellations
y passent, un homme de goût, Frédéric Dard, il fournit tout, les
coquillages, le citron, le seau à glace, la serviette blanche autour de
la bouteille de Muscadet, le rince-doigts et les pensées lubriques, la
vie quoi !
Il fait refuser à un de ses personnages un sandwich, comme une sœur de charité repousse la zézette d’un manœuvre étranger et un autre écoute de la musique ultra douce, si douce qu’un diabétique ne pourrait l’écouter sans danger.
Si je devais me livrer à un inventaire
exhaustif des citations et trouvailles de Frédéric Dard, il me faudrait
des pages et des pages et quand je pense à l’indigence vaniteuse de bon
nombre de romans modernes, je me dis que cette richesse-là et cette
joie d’écrire que certains regardent de haut sont le plus beau présent
qu’un auteur puisse faire à son lecteur.
L’histoire de mets ton doigt où j’ai mon doigt ?
Je ne sais pas, je n’ai pas tout compris, il y a pas mal de morts qu’on
n’a pas le temps de ramasser, des partouzes, des draps en satin, des
tringlées rabelaisiennes par l’adjoint Bérurier, le mégot baveux au coin
de la gueule de l’autre adjoint, Pinaud, des cunnilingus donc comme
s’il en pleuvait, des culottes, des attentats, des ventrées de
choucroute, des incendies, des plaies, du Beaujolais, des bosses, du
n’importe quoi que Dard a du mal à réunir à la fin, pour que cela
s’explique un peu, pour qu’il y ait à tout cela une tête et une queue,
mais le lecteur s’en moque, échauffé, les glandes frissonnantes comme de
l’ail qui rissole, il est déjà passé au plat suivant : Remets ton slip, gondolier ou bien Mon culte sur la commode.
DECOR: Michel Gourdon
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