vendredi 1 février 2013

MINETTE REMBOURSEE  

EXAMEN ANATOMIQUE (ET SURTOUT GÉNITAL) D’UN POLAR


METS TON DOIGT OÙ J’AI MON DOIGT



C’est curieux tous ces gens, hein ? ne se décourage-t-elle pas.
Dans une petite note, en bas de la page 153, l’auteur explique que les romanciers (les mauvais plutôt, encore que les bons parfois…) ont la marotte de ponctuer leurs dialogues, de cette façon : se contenta-t-il d’avouer, ou bien, crut-elle bon d’intervenir, il s’y livre donc lui aussi, manière de nous faire comprendre le ridicule de cette manie d’écrivain, qui n’a guère cessé, qui aujourd’hui prospère même, décidé-je d’insister .
Page 156, il nous sort :
Non, pour moi, c’est terminé, n’hésite-t-elle pas à le décevoir.
Et il demande au lecteur, toujours dans une petite note en bas de page : T’aimes : N’hésite-t-elle pas à le décevoir ?
À la page 170, il clôture cet exercice stylistique de détestation, par un :
Le hasard, je t’en fais cadeau, Doc, regarde-son-verre-vide-t-il.
Sans commentaire cette fois, mais l’auteur a amené son lecteur où il voulait. Cette critique appliquée et progressive est une belle invention d’écrivain.
Je suis très bon client de ce genre d’exercice, mieux, si je trouvais des drôleries de ce style dans les Pensées de Pascal ou dans les Méditations poétiques de Lamartine, cela me comblerait de joie et jouer à ça à l’intérieur d’un polar dénote une fière liberté d’auteur. Faire de la littérature en ayant l’air de s’en moquer tout en brocardant la mauvaise, c’est du grand art !
Pascal : Non, je vous en supplie, ne désespérez pas, coassé-je, car pour croasser il me faudrait un " r ", et je n’ai même pas la force de m’en rouler un.
Je me demande si c’est bien le même Pascal.
En revanche on a sans doute reconnu Frédéric Dard dans son exercice policier de San Antonio qui a beaucoup égayé ma jeunesse, éveillé mes sens, qui m’a appris que la littérature n’était pas cette vieille dame un peu rêche que les enseignants, malgré leur bonne volonté, ne parvenaient pas à dépouiller de son poil au menton, chez qui ils n’arrivaient pas à déceler cet érotisme toujours latent qu’à coup sûr elle contient, qui ne nous montraient pas les dessous affriolants que pourtant elle ne cesse d’agiter sous nos nez et à qui un léger glissement de compréhension et d’explication aurait suffi pour nous la livrer toute chaude et épicée, la littérature, je veux dire.
Pourquoi pas quelques San Antonio dans les programmes, saupoudrant les grandes œuvres qui, du coup, auraient paru ludiques, elles aussi, car un écrivain, un grand, que fait-il d’autre que jouer avec les mots ?
L’éveil des sens, oui, ô combien, ici, par exemple dans ce mets ton doigt où j’ai mon doigt paru en 1979, sous Giscard, ineffable écrivain de l’Académie française à qui nous devons l’inoubliable roman Le passage, voici San Antonio en action. Alerté par un gémissement, le commissaire pénètre dans le cabinet médical du docteur Adhémar Rapière, là, dans un capharnaüm de revues médicales amoncelées comme après un tremblement de terre en Chine, il aperçoit sur une table d’examen aux repose-jambes largement déployés, une dame à qui le médecin, installé entre ses cuisses, sur un prie-dieu, est en train de faire une magistrale tyrolienne à crinière. Je crois savoir de quoi il s’agit. Le commissaire laisse se poursuivre la consultation et la dame, très satisfaite, après un ahhhaahhh illimité, se lève, se reculotte, se rechausse, se remet, se recoiffe, se repoudre puis paie son médecin, tandis que celui-ci remplit l’ordonnance.
C’est aussi une forme de soin, dit-il à San Antonio, en se léchant encore les babines, en tout cas personne ne se plaint (elles auraient mauvaise grâce à se plaindre, c’est remboursé par la sécurité sociale, dites) car je traite ainsi la moitié des femmes du canton et pour vous, qu’est-ce que ce sera ?
Le commissaire : Euh, non, je ne viens pas pour la même chose, s’empresse-t-il de se défendre.
Je commence à avoir des réflexes d’écrivain à succès, une aube de gloire se lève, me hâté-je de m’admirer.
Ce Rapière qui s’est instauré président de la S.M.T.C, Société des Minettes Toutes Catégories dont le blason représente une langue pendante stylisée, conte sur trois pages les nobles buts humanitaires de cette O.N.G, ses techniques d’intervention et ses résultats époustouflants.
Voilà, j’avale un San Antonio comme un petit blanc frais sur des huîtres, d’ailleurs, et c’est bon signe, le vin tient une grande importance chez cet auteur, toutes les appellations y passent, un homme de goût, Frédéric Dard, il fournit tout, les coquillages, le citron, le seau à glace, la serviette blanche autour de la bouteille de Muscadet, le rince-doigts et les pensées lubriques, la vie quoi !
Il fait refuser à un de ses personnages un sandwich, comme une sœur de charité repousse la zézette d’un manœuvre étranger et un autre écoute de la musique ultra douce, si douce qu’un diabétique ne pourrait l’écouter sans danger.
Si je devais me livrer à un inventaire exhaustif des citations et trouvailles de Frédéric Dard, il me faudrait des pages et des pages et quand je pense à l’indigence vaniteuse de bon nombre de romans modernes, je me dis que cette richesse-là et cette joie d’écrire que certains regardent de haut sont le plus beau présent qu’un auteur puisse faire à son lecteur.
L’histoire de mets ton doigt où j’ai mon doigt ? Je ne sais pas, je n’ai pas tout compris, il y a pas mal de morts qu’on n’a pas le temps de ramasser, des partouzes, des draps en satin, des tringlées rabelaisiennes par l’adjoint Bérurier, le mégot baveux au coin de la gueule de l’autre adjoint, Pinaud, des cunnilingus donc comme s’il en pleuvait, des culottes, des attentats, des ventrées de choucroute, des incendies, des plaies, du Beaujolais, des bosses, du n’importe quoi que Dard a du mal à réunir à la fin, pour que cela s’explique un peu, pour qu’il y ait à tout cela une tête et une queue, mais le lecteur s’en moque, échauffé, les glandes frissonnantes comme de l’ail qui rissole, il est déjà passé au plat suivant : Remets ton slip, gondolier ou bien Mon culte sur la commode.
DECOR: Michel Gourdon

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