vendredi 30 janvier 2015


ON VA DANS LE MUR

Des types, dans la rue, couraient comme des dératés.
Où allez-vous ? dis-je à l’un, essoufflé, qui galopait, attaché case en main, cravate en bandoulière flottant derrière son cou.
Dans le mur, dans le mur.
Une jeune fille me passa devant, courant elle aussi, sa jupe s’ouvrait en corolle, on voyait sa culotte.
Et vous ?
Dans le mur, dans le mur.
Celui-ci, allant dans l’autre sens, me dit en passant :
Je n’ai pas trouvé le mur, je file de l’autre côté pour voir. Je finirai bien par le rencontrer.
Un qui paraissait avoir cent ans, qui ne courrait plus, et se hâtait avec lenteur, me dit, la voix chevrotante :
Moi, monsieur, je cherche ce putain de mur depuis soixante ans.
Je finis par comprendre. La veille, une émission de télévision opposant quelques économistes avait tourné autour de cette prédiction qu’on allait dans le mur, l’un l’affirmait parce que la France dépensait trop, l’autre parce qu’elle ne dépensait pas assez, les pauvres sont trop pauvres, disait son voisin, on finira dans le mur, ils ne foutent rien surtout, aboya un autre en face de lui, nous allons dans le mur, les riches sont trop riches et se tapent de trop belles femmes sur leur yacht, fit un dernier, tout ça finira dans le mur. Ils n’étaient d’accord sur rien, sinon qu’il y avait un mur devant nous et qu’on allait s’y aplatir la face.
Alors tous, dans la rue, ce matin, comme s’ils s’étaient donnés le mot, pensèrent qu’il valait mieux en finir tout de suite en se jetant sur ce mur qui était si proche. Ils couraient, ils couraient.
Moi-même ,j’étais en train d’hésiter, regardant à droite, à gauche, cette foule qui s’agitait, se bousculait, s’insultait, en une cohue de fin du monde, lorsque paf ! je pris un mur en plein visage.
Ce n’était que le mur de ma maison.
Patience, me dis-je, tu finiras bien un jour dans le mur, le vrai.

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