vendredi 16 mars 2012

LA BOULANGÈRE ET USAIN BOLT



 

LA PENSION BEAUREPAS
 

 
Mes affections ne sont pas idolâtrie.
La Pension Beaurepas d’Henry James ne m’a guère enthousiasmé, je l’ai trouvée aussi molle qu’un petit suisse. Cela tombe bien, La Pension Baurepas est une histoire qui se déroule à Genève.
Elle est construite en opposition, c’est la manière fréquente d’Henry James, entre la neuve Amérique et la vieille Europe. Elle dépeint les clients d’une pension, des Américains voyageant en Europe, deux familles notamment, la famille Ruck et la famille Church:
La famille Ruck : le père, la mère, une superbe femme, ce n’est pas moi qui parle, c’est James, mais je l’imagine bien cette Mrs. Ruck, une fille Sophie, adorable jeune fille, toujours d’après James.
La famille Church : la mère autoritaire et un peu acariâtre, et sa fille Aurora, très belle, dixit James. Il ne pense qu’à ça ce type!
Ces personnages vont vivre devant le lecteur, au travers des soucis du père, des exigences des mères, des fantaisies et des séductions des filles, un épisode genevois, sous les yeux et la plume d’un narrateur qui ressemble à James.
Comme il s’agit d’une pension, Henry James tente une comparaison avec la plus célèbre pension du monde, la pension Vauquer, cadre du Père Goriot. Par moment on peut en effet songer au roman de Balzac, via notamment la tendresse paternelle de Ruck père pour sa Ruck de fille. Les misses, pluriel de miss, je suppose, Ruck et Church sont plutôt frivoles et amatrices de colifichets comme Anastasie de Restaud et Delphine Nucingen, et un Français M. Pigeonnau (sur canapé ?) est sans doute là pour rappeler Melle Michonneau de la pension Vauquer. Mais on s’en fout, ça ne marche pas, d’ailleurs le projet de James tourne court, il ne faut jamais prendre d’exemples aussi hauts (James avait une grande admiration pour Balzac). C’est un peu comme lorsque je vais acheter mon pain en courant, si à ce moment-là, je comparais ma foulée et mon allure à Usain Bolt, qui le croirait, hein, qui le croirait ? Même si ma boulangère en me voyant arriver essoufflé, m’accueille, admirative, croit-elle que je bats le record du monde du cent mètres, tous les matins pour venir la voir. Ou pour ne pas laisser refroidir ses miches.
La Pension Beaurepas est une nouvelle bien faite, régulière, taillée au couteau (suisse ?), c’est propre, c’est net comme un gruyère d’alpage, cela ressemble à la Suisse.
Trop, justement.
Halte, je suis en train de m’appuyer sur un cliché, or je n’aime pas les clichés, je voudrais passer ma vie sur terre à réduire les clichés à leur plus simple expression, c’est-à-dire à néant, à les éradiquer, les Suisses sont comme ceci, les Allemands comme cela, les Français ainsi, les Belges, etc…, et je ne parle même pas de religion ou de gastronomie ou de culture, que de clichés commet-on en leur nom, bref, plus de ces lieux communs, ou alors, je veux en inventer moi-même, des nouveaux, des inédits.
Quel est cet oxymore, " un lieu commun inédit " ?
Bon, je n’ai pas le temps, mais ce concept d’un " cliché inusité " mériterait un développement complet.
Puisque j’écris, je peux tout faire et me livrer à de l’anti-cliché (l’anti cliché, c’est faire du nouveau, en suis-je capable ?), avec mes maigres moyens je peux être architecte du monde.
Je parlais de pays ? Allons-y ! Prenons l’Italie par exemple, l’Italie et sa taille de guêpe, qui m’empêcherait de l’extraire de sa boite où elle s’allonge telle un hareng saur, et d’en faire une miche de pain, ronde et grasse, ou de la poser sur la Méditerranée à l’instar d’une fleur de nénuphar et non plus comme un coup de pied au derrière de Neptune, avec un Pô qui la partagerait comme une pomme, qui m’interdirait de la faire propre, tirée à quatre épingles, sans une seule ruine, sans un seul mur lépreux, peuplée d’habitants besogneux, silencieux, disciplinés, pleine de villas romaines reconstruites et à nouveau triomphantes, de palais Renaissance réhabilités regorgeant d’œuvres d’art, qui me défendrait de reconstruire une Italie, étincelante comme un sou neuf, ou un euro lors de sa création, de la faire belle à s’en lécher les doigts, comme disent les ours lorsqu’ils mettent la main dans un pot de miel.
Peut-être l’aimerions-nous moins.
Et puisque j’y suis, je peux faire une Suisse toute déglinguée, là encore qui m’en empêcherait, de dodue qu’elle était, je pourrais la transformer en baguette rêche et croûteuse, qui fout des miettes partout, qui pique, une Suisse bordélique avec des chemins de terre remplis de bouses, des lacs asséchés, une confédération défédérée bourrée de chalets effondrés, une sorte de pays allongé comme un fouet de cocher non helvétique, jaune, sale, indiscipliné, possédant un drapeau sans croix, un Guillaume Tell sans pomme, plein de milliardaires désemparés, de grands hôtels en feu, de stations de sport d’hiver glissant vers la plaine dans de gigantesques éboulements, une Suisse sans Nestlé, ô horreur, sentant le pipi, sans banques, pleine d’immigrés, aux villes constituées d’alignements d’immeubles aux fenêtres clouées et aux portes défoncées, pleines de mosquées, de minarets, de bananiers flétris, d’animaux errants, d’Africains affamés, oui, je peux faire ça. Qu pourrait m’en vouloir ?
Sans doute l’apprécierions-nous plus.
Écrire permet tout.
Oh, ne fais pas la tête, Henry, je t’ai pourri ta Pension Beaurepas, oui, oui, je vois que tu m’en veux, ne t’alarme pas Henry, je continue de t’aimer, d’ailleurs je vais sauter sur la prochaine nouvelle : Journal d’un homme de cinquante ans avec le même plaisir que d’habitude. On peut toujours faire moins bien, moi-même n’est-ce pas… Tiens, je peux mettre d’ores et déjà sur ton carnet d’écrivain : peut mieux faire et ensuite après avoir lu ce Journal d’un homme de cinquante ans, noterai-je sans doute : joli travail, Mr. James, je vous l’avais bien dit.
Promis !
J’espère quand même que tu n’as pas trop déconné dans la nouvelle suivante.
 
 Au pinceau: Corot



 
 
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire