mardi 10 avril 2012

ELECTIONS, PIÈGES A CONS



 


FORT- DE- FRANCE

 



 
La Martinique maintenant ! Il faut un GPS pour suivre Pierre Benoit dans sa représentation romanesque du monde. Je ne sais plus quels pays il m’a déjà fait visiter depuis que je le fréquente littérairement. Son monde des A (le prénom de ses héroïnes commence toujours par A), même si je n’ai pas fini la verticale de ses millésimes, semble couvrir la totalité du globe.

Google earth a chassé de nos intérieurs les mappemondes, peut-être le plus beau décor que l’on pouvait avoir chez soi. La mienne, celle de ma chambre d’adolescent, s’illuminait de l’intérieur. Combien de soirées ai-je passé, rêveur, mon devoir de mathématiques en panne sur la table, à faire tourner cette grosse boule éclairée, puis l’arrêter d’un doigt hasardeux, en me disant que je pourrais bien oublier ce sérieux qu’on m’imposait, ces devoirs, ces chiffres, ce futur déjà contraint, tout ce qui me collait, m’embourbait, pour partir au loin et aller vivre, dans le calme et la volupté, où il s’était posé, mais souvent un océan se trouvait dessous, je recommençais alors à faire tourner le monde, les Amériques, l’Orient, les mers défilaient dans un sillage polychrome sous mes yeux envieux, jusqu’à ce qu’enfin une terre tombe sous ma main, combien de tours et de tours sur elle-même aurait dû faire la mappemonde pour que mon doigt se pose sur cette île minuscule des Antilles, quel hasard aurait-il fallu pour que ce globe lumineux s’arrête de tourner, sur ce point vert dans l’immensité bleue, sur la Martinique justement.
La littérature aussi autorise ce hasard des dépaysements, on ne fait plus tourner le monde mais un geste suffit toujours pour le découvrir, on retire d’une série, sur l’étagère d’une bibliothèque, le livre dont on ignore la destination, on sait seulement qu’il vous fera voyager, on l’ouvre, les cornes de brume se mettent à retentir, le bateau prend le large.
Voici Pierre Benoit aux Antilles, en compagnie des 53.000 lecteurs (la couverture d’Albin Michel faisant foi), et sans doute plus aujourd’hui, qu’il y a emmenés avec Fort-de-France paru en 1933,
Comme d’habitude chez lui l’intrigue est prenante, mais il ne dispose pas de beaucoup de temps, il a un roman à sortir chaque année, et des voyages à entreprendre pour préparer les suivants, et des femmes à aimer (je suppose) pour peaufiner ses héroïnes, alors il bourre n’importe comment sa valise remplie des étiquettes de toutes ses destinations, elle laisse échapper un pan de chemise ou un bout de bretelle. Qu’importe elle remplit son rôle de valise qui est d’aller d’un point à un autre et d’amener quelque chose quelque part. Au fond les livres de Pierre Benoit ont des allures de valises bouclées en vitesse et constellées des tampons de ses escales.
Il y a rangé son intrigue qu’il exhibe ensuite à la manière d’un prestidigitateur ne cessant d’extraire de sa bouche, par enchantement, des rubans multicolores. La virtuosité de Pierre Benoit laisse bouche bée un lecteur qui comprend bien qu’il y a un truc, que c’est une coquinerie de lui faire croire que tout cela fonctionne comme dans la vie, d’autant qu’à un moment ou à un autre, il voit un ruban sortir de là où il n’aurait pas dû, un lapin s’échappant d’un chapeau et fuyant dans les coulisses les oreilles collées, une colombe ébouriffée qui se réfugie dans le public, ou un geste raté qui lui fait toucher du doigt qu’on est dans l’illusion. Mais l’art suprême de l’auteur, parfois sa désinvolture, n’est-ce point au fond que cette maladresse est sans doute voulue et qu’elle est si bien enrobée que le lecteur se laisse faire une douce violence.
Aïssé de Sermaize est une jeune fille riche de Martinique, elle reçoit des subsides de son frère installé là-bas, qui les obtient lui-même de la canne à sucre et du rhum, elle a rencontré à Paris où elle ne fait rien, sinon se promener, Gilbert Vauquelin, qui ne fait rien non plus, sinon recevoir l’argent d’une carrière que son père lui a laissé au pays basque. C’est l’amour, ce sont des promesses nuptiales, des roucoulements, avec parfois quelques glissements mystérieux, quelques interrogations que laisse transparaître l’auteur, jusqu’au jour ou Aïssé retourne d’urgence en Martinique, sans fournir d’explications à Gilbert. Celui-ci, après une correspondance avec elle qui finit par s’étioler (la correspondance pas Aïssé) décide d’aller à sa rencontre. Là-bas, il se retrouve devant une Aïssé emberlificotée dans une liaison qui semble forcée, au sein d’une histoire d’influences politiques durant une campagne électorale où s’affrontent des militants déchaînes et aveugles, comme le sont tous les militants.
Valise, bateau, mystères, rhum blanc, Morne-vert, soleil, bagarres, amours, coquillages, moiteurs, Montagne pelée, autant d’ingrédients romanesques dont Benoit joue à la manière d’un pianiste de bastringue. De temps en temps, il avale une gorgée de whisky, et les yeux plissés à travers la fumée de sa cigarette lorgne une fille en fourreau qui danse langoureusement devant lui.
Il affiche une telle sûreté qui, je le constate, s’accroît au fur et à mesure de ses romans lus dans l’ordre chronologique, qu’il n’hésite pas parfois à bousculer le narrateur pour faire une place à l’écrivain. je note par exemple ceci au début de Fort-de-France :

- Monsieur désire sans doute un punch glacé ? dit-elle dans ce charmant jargon martiniquais sur lequel il ne sera pas, au cours des pages qui suivront, insisté davantage, l’exotisme obtenu dans de telles conditions constituant un effet facile et réellement par trop à la portée de toutes les bourses.
Et hop ! Prenez ça, c’est gratuit, ça vaut pour le lecteur comme pour les confrères. Je me rends compte que c’est le genre de facilité que se refuse Benoit dans tous ses romans, en tout cas ceux que j’ai lus jusqu’à maintenant et je l’en félicite. Il ne s’agit pas simplement du refus d’un effet, c’est, me semble-t-il, le respect qu’un voyageur digne accorde aux lieux lointains ou ruraux qu’il visite, aux hommes qu’il rencontre qui ne parlent pas notre langue ou seulement un patois, et aux langues elles-mêmes, toutes aussi respectables et indispensables que la notre. Je suis profondément en accord avec lui. Tant de romans de terroir se donnent un genre, s’octroient des " effets faciles ", en tirant sur la ficelle de la couleur locale au prix en fin de compte d’un abaissement du local. Peuchère ! N’est-ce pas Pagnol ?
Le roman est une convention, le lecteur le comprend et l’accepte. Quelle est cette symbolique assénée à coup de canons d’un terroir naïf, risible ou archaïque, sous le prétexte d’une vérité, d’un réalisme qui la plupart du temps ne ressort que de l’humiliation.
Ma passion pour Balzac résiste difficilement à sa manie de mettre dans la bouche de ses héros des accents souvent assez farfelus, et le Cousin Pons est un peu gâché, à mon sens, par la manière dont il fait parler Schmucke.
Terminer une note sur Pierre Benoit, en évoquant Balzac : honni soit qui mal y pense.
Tout de même puis-je finir sur une aussi flatteuse remarque, je relève ceci mettant en lumière le détestable côté réactionnaire de Pierre Benoit, page 213, voici à qui il compare un employé servile qui tente de pénétrer dans le bureau du gouverneur de la Martinique:

Comme les grévistes qui font marcher devant eux femmes et enfants, il entra lâchement derrière Manlius porteur d’un plateau de cocktails.

Les syndicats te saluent, Ô Pierre Benoit !




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