LE FANTÔME
(ÉCHOS D’UNE VIEILLE BIBLIOTHÈQUE)
Je ne suis pas bourgetophile, je
m’aperçois pourtant qu’à ce jour je me suis déjà tapé (et j’ai commenté)
une dizaine de romans de Paul Bourget. Avec Le Fantôme j’attaque le 11ème,
je me demande si je n’ai pas attrapé une sorte de virus qui force un
type tel que moi à se faire du mal pour rien. Si je ne suis pas malade,
je peux au moins avoir cette satisfaction, que l’on doit trouver assez
peu de bonshommes en France et même à coup sûr dans le monde, ayant à
leur actif la lecture de plus de dix romans de Paul Bourget. S’il en
existe, ils sont payés pour ça ou enfermés. L’horizon lui-même noircit
lorsqu’on sait que je dispose dans ma bibliothèque d’une multitude
d’œuvres bourgetales et qu’il me semble avoir l’intention de ne pas
échapper à leur consommation future. Peut-être veux-je lancer une mode.
Avec Le Fantôme, Paul Bourget joue au précurseur, il invente le ghostbuster
littéraire à effets spéciaux mais ici les effets spéciaux ne font pas
froid dans le dos, ils coulent le long du corps, dégoulinent,
s’installent en mare à vos pieds, je veux parler du style qui, cette
fois, n’est pas du tout mais alors pas du tout raisonnable, allons,
Paul, allons ! que t’arrive-t-il, c’est un pot de miel, on en prend une
cuillerée pour en déposer sur une tartine préalablement coupée et on
pastisse toute la nappe, on essaie avec le doigt de rompre le
dégoulinage, c’est pire on crée un deuxième dégoulinage, alors de
dégoulinage en dégoulinage, on sabote le sucrier, le pot à lait, la
cafetière, on reste collé à tout, les pieds ne peuvent plus se détacher
du parquet, et si on posait son cul sur la commode, il y serait
prisonnier, attrapé par chaque fesse emmiellée.
Le matin, je prends du beurre.
Autant que le style, c’est le maniérisme des descriptions qui est à fuir, on y rencontre des joues inondées de larmes, des lèvres ouvertes et frémissantes (attention pas pour embrasser, hein !), le sein soulevé d’une palpitation convulsive
( tu ne touches pas non plus, compris !) et je ne dis rien des
montagnes, de la mer, des fleurs, des oiseaux et de tout le bastringue,
des sentiments n’en parlons pas, ça pleure, ça frémit, ça rougit, le
teint de l’héroïne quant à lui est d’une transparence rosée (style pelure d’oignon ou rosé de Provence).
Je n’insiste pas, on a compris. Le téléthon lui-même est moins larmoyant, alors on voit bien que.
Cette personne au sein qui palpite
s’appelle Antoinette, c’est une malheureuse jeune fille que ses parents
obligent au mariage avec un bourrin fortuné dont j’ai oublié le nom.
C’est alors qu’elle rencontre Philippe
d’Andiguier, un vieux collectionneur, plein aux as, habitant un hôtel
particulier dans le quartier St.Germain, dans cette extrémité de la rue de la Chaise qui jouxte la légendaire Abbaye-au-bois
, qui à coup sûr devait être déjà fermé aux noirs et aux arabes, en
revanche, ça y est je m’en souviens maintenant, ce quartier n’était pas
interdit à la Récamier et à Chateaubriand qui la tripotait sur son
siège…quand, tout essoufflé après avoir grimpé trois étages,
j'entrais dans la cellule, aux approches du soir, j'étais ravi : la
plongée des fenêtres était sur le jardin de l'Abbaye, dans la corbeille
verdoyante duquel tournoyaient des religieuses et couraient des
pensionnaires, quel grand fou celui-là aussi, une corbeille où
tournaient des religieuses, il devait avoir un coup dans le nez, le
François-René, ce d’Andiguier donc s’émeut du désespoir d’Antoinette,
qu’il a rencontré par hasard, attention pas à la foire du trône !, mais
au bord du lac de Côme, à la Villa d’Este où on ne me voudrait même pas
pour balayer, il l’entend pleurer en sanglotant (toujours l’art de faire
simple) dans la chambre à côté de lui, il se prend d’amitié pour elle,
compatit à sa peine, essaie de la consoler et finit par en tomber
secrètement amoureux mais il se considère trop âgé pour la baiser
d’autant que l’Antoinette au sein qui palpite, possède un sens du devoir
élevé, et en fille obéissante accepte d’épouser le bourrin.
Le Fantôme
est une histoire qui se déroule dans une soupière de caviar. Il n’y a
pas un pauvre à l’horizon. C’est écrit à l’orée du siècle, mars 1900,
janvier 1901, une époque où il n’y avait sans doute que des rentiers.
Après lui avoir collé une fille,
Eveline, le mari de cette Antoinette casse sa pipe, je ne sais plus
comment et je m’en fous, la veuve devient très riche.
Je ne vais pas trop vite ? Tout le monde suit ?
D’Andiguier cet emplâtre, laisse passer sa chance : quand tu respectes trop les femmes, elles te passent sous le nez. (Extrait du Manuel de savoir-vivre
de Strauss Kahn). Alors, Antoinette prend un amant, un jeune homme,
nommé Malclerc au prénom incertain, qui possède bien dix ans de retard
sur elle, et se poile super, puisqu’on ne lui demande pas autre chose
que de forniquer, ce n’est pas à Pôle Emploi que tu te dégottes de
telles situations. Mais Antoinette se fait écraser par un platane ou un
cheval ou un pot de fleur, ,je ne me souviens plus, ce n’est pas grave,
elle meurt.
Quinze ans plus tard environ.
Malclerc, en vacance du côté d’Hyères,
rencontre pas hasard la fille d’Antoinette, Eveline qui est devenue une
superbe jeune fille au sein qui palpite comme sa mère, il ne tarde pas à
comprendre qu’il s’agit de la fille de son ancienne amante et malgré
tout l’épouse. Au début, il se dit c’est chouette, j’ai eu sa mère à un
certain âge et maintenant j’ai la fille à l’âge où je n’ai pas eu la
mère, je rétablis une connexion charnelle dans le temps, avec deux j’en
fais une complète et cerise sur le gâteau, je les ai possédées au bon
moment, mûre lorsque j’étais jeune et jeune lorsque je suis mûr. C’est
un assez bel exploit en effet.
Mais dans ces milieux on a le sens de
la faute, et comme on ne bosse jamais, on a le temps de réfléchir au
péché, Malclerc ne peut s’empêcher de ressentir quelque chose de
particulier qu’il attribue à l’inceste mais à un inceste moral, alors
tout se déglingue, il perd les pédales, devient honteux, malheureux et
suicidaire. Lorsqu’il touche les tétons d’Eveline, Malclerc a
l’impression de toucher ceux de sa mère, c’est agaçant, au début ça
allait, maintenant ça le gène, mais ce n’est pas qu’un truc de romancier
cette histoire de tétons, c’est dû à la perversité de Paul Bourget qui
était, je le devine, un phénoménal toucheur de tétons (je me demande si
je l’ai bien lue dans Le Fantôme, cette histoire de tétons). Eveline qui ne comprend pas les tourments de son mari et se consume d'amour pour lui, se désespère
Entre à nouveau en ligne de compte Philippe d’Andiguier, qui va tenter d’arranger le coup.
Que va-t-il se passer, je n’en sais
rien, car j’en suis à la page 215 et je dois me rendre à la page 345, ça
fait loin et du coup, je n’en ai plus trop envie. Allez, je vais faire
un effort, il ne sera pas dit que j’aurai calé à mon 11ème Bourget, j’irai jusqu’à la fin, téton ou pas, en rampant s’il le faut, mais j’irai, promis !
Le peintre: William Paxton
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