UNE FILLE À MARIER
LADY BARBERINA
Jackson Lemon est immensément riche et
américain. Ce n’est pas un pléonasme. En 1884 il séjourne à Londres et
s’amourache de la jeune fille d’un lord anglais, un noble tellement
noble, lord Canterville, qu’il doit descendre du Prince noir au bas mot.
Sa femme, lady Marmaduke, descend d’un cheval lorsqu’on la croise dans
la grande allée de Hyde park, à moins que ce ne soit sa fille, lady
Barberina, qui, elle, ne descend en tout cas pas de la cuisse de
Jupiter.
Belle mais conne, lady Barberina.
On se situe délibérément dans une
Angleterre qui pratique la sélection des races par non croisement,
élevage en manoir gothique exclusif, porto vintage et pudding au menu,
chasse à courre à la poursuite d’un renard ou d’un Français quelconque
égaré sur l’île, infréquentabilité institutionnelle de tout autre espèce
humaine que l’anglaise à condition encore que celle-ci justifie d’au
moins mille ans d’appellation contrôlée.
Les parents Canterville sont des
sortes de colleys zibeline, titulaires à parts entières de quatre
filles, dont la lady Barberina en question, et d’un garçon qu’ils ont de
la peine à faire vivre à la hauteur de leur situation sociale parce que
lord Canterville est pelé comme un braque de Weimar à poils courts dont
il possède la tête et les oreilles. Sa fonction principale est d’aller
roupiller à la chambre des lords et de bouffer en compagnie de sa femme
et de ses enfants les restes d’une fortune fort délabrée ainsi que les
biscuits secs des thés qu’on lui sert dans les maisons les plus huppées
de Londres. Lady Marmaduke, même si la rencontrant dans une balloche de
quartier on pourrait être tenté de lui pincer les fesses qu’elle a
belles, est aussi rigide et glacée qu’un pilier de Westminster.
Le lecteur de cette nouvelle de Henry
James, j’ai assez dit, je crois, que cet auteur me passionne autant
qu’un Jack Russel terrier qui n’est pourtant qu’une petite crotte
vaniteuse, le chien pas Henry, le lecteur donc se dit, ces deux hérons,
les Canterville, mari et femme, à la vue du sac d’or que détient cet
Américain, auront tôt fait de ravaler leur morgue et de larguer leur
aînée Lady Barberina qui a l’air aussi con qu’un Pinscher moyen femelle,
en se disant tous deux, les Canterville donc : fourguons lui notre
fille vite, avant qu’il ne se rende compte qu’elle est aussi stupide
qu’une valise tombée du toit d’une voiture, bonne affaire ! ah, on va
bien le baiser ce Yankee, on va te lui refiler un de ces rossignols !
Car dès qu’ils ne sont plus en représentation c’est le langage intime
des Canterville et en général de toutes les aristocraties de par le
monde.
Et le Jackson Lemon, lui aussi, croit
qu’il va emporter le morceau haut la main comme un whippet anglais
aplatit un épagneul non breton dans un cynodrome de Wimbledon.
Que nenni, il lui faudra beaucoup
d’application, d’abnégation et de sacrifices financiers pour emporter le
morceau. S’il avait su. Il aurait compris pourquoi on lui rendait cette
Barberina rarissime, un genre véhicule d’occasion qu’on ne laisse pas
essayer pour que n’apparaissent point ses tares au grand jour. On la lui
a enrobée comme on présente dans un restaurant de nouvelle cuisine un
peu faisandé, un œuf au plat. C’est flamboyant, tu crois voir arriver
dans ton assiette, au son des trompettes d’Aïda, un œuf de Fabergé, tu
te dis, ce n’est pas possible, sauf au moment où on te présente
l’addition, combien ? fais-tu une première fois, puis une deuxième fois,
hoquetant, ah oui, c’était donc possible ! Puis tu t’étrangles, quoi !
Combien ? Mais alors, c’était vraiment un œuf de Fabergé ! Mais, mais,
je l’ai bouffé ! Trop tard. Il faut payer !
Lady Barberina est un œuf de Fabergé,
c’est beau, tu crois pouvoir la gober comme qui rigole, mais si tu la
consommes, tu la sens passer. Dans le compte d’exploitation, je veux
dire !
La première partie de cette nouvelle
recèle beaucoup d’humour. Les Canterville, leur réserve british, leur
flegme hautain, leur thé, l’apartheid qu’ils cultivent, opposés au
réalisme américain de Jackson Lemon valent quelques scènes pleines de
drôlerie.
Couché Lemon !:
Je vous en prie,
madame….donnez-moi une chance de lui parler un peu plus moi-même. Vous
ne me l’avez guère donnée jusqu’ici vous, savez, fait Jackson Lemon à celle qu’il espère être un jour sa belle-mère.
Lady Marmaduke le mouche :
Nous n’avons pas l’habitude d’offrir nos filles aux gens, monsieur, répond-elle.
Ah ! Combien il aurait dû la prendre
au mot, ce pauvre Jackson, parce que c’était une résistance de pure
forme. Snobs, hautains et dédaigneux les Canterville mais pas fous : le
roi Arthur, la table ronde, la grande Elisabeth, Cromwell, Trafalgar,
Victoria, les Beatles d’accord, mais des dollars en masse cela ne se
refuse pas longtemps.
Et voilà notre lady Barberina emportée
dans ce territoire sauvage des Etats-Unis, où elle devient la
coqueluche de New York, une lady anglaise pur sucre bardée de dollars,
c’est une attraction.
Mais ni le mariage, ni son nouveau
pays, ni l’amour de son Lemon de mari ne rendent lady Barberina plus
fine, elle n’a rien à dire aux new yorkais, à son mari non plus, et
d’une manière générale elle ne pense rien, ou à une seule chose plutôt,
retourner en Angleterre, à ses chevaux, à ses chiens et à la Marmaduke.
De ce côté de l’Atlantique, comme de
l’autre, telle qu’en elle-même la Barberina est restée, désespérant un
Jackson Lemon, qui a le sentiment de posséder un luxueux attelage dans
ses écuries mais de ne pouvoir jamais l’utiliser.
Ni la race, ni les dollars, ni les pays, ne peuvent corriger la sottise.
Est-ce la leçon de cette nouvelle ?
Moi qui voyais cette lady Barberina, à la manière d’une Barbarella s’éclatant contre des truands de l’espace vêtue seulement sa petite culotte et d’un soutien gorge, c’est raté.
Comme Jakson Lemon, presque cent après, je sens qu’elle m’a baisé aussi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire