dimanche 18 décembre 2011

CASQUES À POINTES

LA MOTOCYCLETTE


    Pour les amateurs, cette motocyclette est une grosse moto, une Harley Davidson, à deux cylindres en V, de 1200 cm3 et de soixante chevaux, avec des franges, un modèle des années 60, puisque La Motocyclette, le roman d’André Pierre de Mandiargues est sorti en 1963, chez Gallimard. Les Harley représentaient à cette époque, le sport, la puissance, la vitesse, la cavalerie; lorsque les motos japonaises ont fait irruption sur le marché, elles ont aussitôt fait passer ces gros engins pour de poussifs hippopotames et leurs pilotes pour des imbéciles rétrogrades et grégaires. Je me demande si je ne suis pas en train de me mettre des motards à dos.
    Celle qui m’intéresse (la moto, je veux dire) est montée par Rebecca qui, dans un premier voyage qu’elle se remémore, la chevauchait sans culotte à l’intérieur de sa combinaison de cuir et à son deuxième voyage, au présent celui-là, l’enfourche avec sa culotte sale, puisque, au petit matin, quittant son mari endormi, pour rejoindre en pétaradant son amant, elle n’a pas le temps de se saisir d’une propre. Il faudra que je relise ce passage du roman, car je ne vois pas en quoi enfiler une culotte sale serait plus rapide qu’enfiler une propre, cela cache quelque chose. Bon revenons au récit, je m’attarde dans des dessous (de l’histoire) qui n’ont guère d’intérêt sauf pour moi.
Je n’ai aucun enthousiasme pour la mécanique et si j’examine cette motocyclette (aujourd’hui on dit moto), c’est parce qu’elle est entre les jambes de Rebecca Nul, un beau brin de femme, qui a épousé un nommé Raymond Nul et qui l’a trompé aussitôt et pas seulement avec une moto. Il y a des patronymes que l’on ne devrait pas porter.
Que Harley épouse Davidson, cela convient, cela perdure et engendre une descendance huileuse et mécanique de bon aloi, que Rebecca épouse Raymond Nul, c’est un pas de clerc pour ce pauvre Raymond, ce Nul a perdu d’avance. André Pierre de Mandiargues le sait, lui qui avec son nom évite une connotation de cocu même s’il le place à mi distance entre la chasse à courre, l’opérette parisienne et la purée hautaine.
Moi qui n’ai des rapports avec la mécanique que distants et intellectuels, il me semble que pour une Harley Davidson, je serais capable de me laisser pousser la barbe et les cheveux, de me vêtir de cuir, de fanfreluches, de chausser des bottes aux pointes qui rebiquent, de porter un casque de viking à cornes d’élan, ou de guerrier wisigoth à pointes de bouc, de boire des boites de bière, de mastiquer du chewing-gum, et de cracher sur le goudron. Il existe des moments dans la vie où on rêve d’imiter des choses qui ne nous ressemblent guère et qu’en général, on fuit comme la peste. Je me refuserais toutefois à arborer un drapeau américain car je déteste les drapeaux. André Pierre de Mandiargues aussi qui est un fieffé antimilitariste et ça c’est bien.
Par dessus tout, j’aurais préféré monter dans le dos de Rebecca, coller mon bas ventre à ses fesses, la serrer entre mes bras et rouler à moto vite et longtemps et tressautant, emboîté dans elle, traverser l’Alsace, passer la frontière pour aboutir à Heidelberg, là je la quitterai, puisqu’elle y retrouverait son amant, Daniel Lionart dont le nom, banal celui-là, lui permet de saisir le tirant de la fermeture éclair courant du col à l’entrecuisse de la combinaison…pour fendre en deux moitiés le cuir du vêtement comme si on l’avait tranché d’un coup de lame.
Dessous ? A poil !
C’est le premier voyage. Nous verrons pour le second voyage, dans quel état il va la trouver. Ces Allemands n’ont pas abdiqué ils s’intéressent toujours à nos espaces vitaux et emportent nos femmes à la pointe de leur sabre, même si celle-ci est un peu sauvage, avec ses longues jambes un peu trop maigres sous les hanches plates et les reins cambrés, sa toison brune et vigoureuse qui prospérait jusque sur son dos en lui donnant ces allures de chèvre. Plus vieille, sans doute, elle aurait de la barbe au menton, lui disait Daniel, charmant amant ce Daniel, qui la caressait à l’endroit de ce pelage ainsi qu’on flatte un chien fidèle.
Bon, hein ! Couché Daniel !
Mari dans un roman est une situation peu enviable, amant ça va. Un exemple ? Il alla dans le cabinet de toilette, où il fit la lumière. Du lit, Rebecca le vit uriner dans la cuvette destinée au visage ou aux mains, et la jeune fille, qui n'ayant jamais partagé une chambre avec un homme ignorait tout des usages virils, jugea que son amant avait  « du poil aux dents » (comme disent les gens de Suisse alémanique, pour dire que l'on est effronté).
Quel mari pourrait se permettre ça ? Pisser dans le lavabo, mon Dieu! De même qui pourrait ligoter son épouse aux montants du lit et la pénétrer avec un emportement bestial ? Le nuptial assoupit souvent le fauve qui sommeille dans le mari.
Et c’est dommage !
C’est moi qui parle ici.
Dans les histoires de moto et de vitesse sur la route, le lecteur n’a pas besoin de s’interroger sur le dénouement, cela finit toujours pareil, dans un aplatissement tragique, La motocyclette n’y échappe pas mais c’est aussi un roman d’une originalité et d’une virtuosité certaines, écrit plein gaz, qu’on a le sentiment de lire à califourchon avec le vent qui cingle le visage.



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