lundi 26 décembre 2011

DÉSIRS



 

 
SAINT SATYRE
 

 
La littérature d’Anatole France est un ragoût de veau dans lequel le veau est délicieux mais les pommes de terre souvent trop nombreuses.
Le veau, c’est son art, son style, son humour, ses récits iconoclastes, les pommes de terre sont son érudition, insupportable, tant il en est prodigue.
Fra Mino est un jeune moine bien buré (il est indispensable de bien orthographier ce " buré ", il se rapporte à la robe de bure et pas à autre chose, n’est-ce pas), quoique tiraillé, comme tout le monde, par la chair, il est un assez bon religieux. Cette histoire se déroule, à mon avis, au XVIIème siècle, Anatole ne nous le dit pas, mais sur un des murs du cloître du frère Mino, le Pérugin a peint, somptueusement, nous précise-t-il, les Maries contemplant avec un indicible amour le corps du Christ, j’estime donc que nous sommes un siècle environ après le temps du Pérugin, de toute façon on s’en fout, je ne vais pas moi-même montrer mon érudition, d’autant qu’avec Internet je peux, sans aucun mérite, enfoncer France.
De temps en temps, frère Mino est donc titillé par des forces non spirituelles qui débordent de sa bure. Elles lui collent des songeries, je ne te raconte pas lecteur, si je pouvais avoir les mêmes, mais toi aussi d’ailleurs, toi aussi, si tu pouvais.
Tiens, écoute celle-la quand même :
Ce soir-là, il se trouve en prosternation devant le tombeau de Saint Satyre.
Moteur !
Des filles, des nymphes, arrivent semblant flotter dans l’air obscur et les voiles légers qui les recouvrent. Bon, tu as compris, dans cette transparence on devine tout, les seins, les fesses, le sexe. Au milieu des filles, que voit-il, hein, que voit-il, des types nus à pieds de bouc. Ce n’est pas rien, n’est-ce pas ? D’autant que leur nudité laissait paraître l’effroyable ardeur de leurs désirs. Je traduis Anatole France : il veut dire que ces demi boucs bandaient comme des taureaux excités ou des hommes en rut, si on veut. Il m’arrive aussi de connaître d’effroyables ardeurs, mais ce n’est pas si effroyable, je ne m’en plains pas, et puis j’ai des pieds normaux, plats mais normaux. Et toi ?
Ce qui doit arriver arrive, que ce soit parmi les moines, les saints, les boucs ou les nymphes effarouchées, dans l’état où tout ce joli monde se trouve, au bout d’un moment il y a collision et, après collision, interpénétration, c’est fatal. Au début, c’est toujours pareil, les nymphes minaudent : que ceci, que cela, les boucs, eux, n’ont pas le temps de raisonner, ils n’ont qu’une chose en tête, ils disent : oui, oui, attends petite, on verra ça plus tard, pour l’instant laisse-moi mettre ceci dans ceci et vlan !
Et ça marche, car les nymphes se disent : après tout, on a le temps, on verra plus tard. Pour l’instant, parons au plus pressé, bouc, tu as raison, mets moi ton machin dans mon machin. J’emploie mes propres mots, je ne suis pas Anatole France, j’écris avec mes maigres moyens mais je respecte ses idées.
Devant ce spectacle frère Mino ne reste pas indifférent. Qui le serait ? Même le pape, même son saint patron François d’Assise (j’ai oublié de le dire, frère Mino est franciscain) frétilleraient, alors qu’y peut-il ?
Puis les boucs se cassent, laissant les nymphes, pantelantes, humides, trouées, écartelées, percées de mille traits, abandonnées exsangues sur le terrain. On voit donc bien que ces boucs sont aussi des hommes, après l’amour, il n’y a plus personne.
Tout à coup, miracle, une nymphe s’ébroue et se remet d’aplomb, elle aperçoit frère Mino, dans son habit " barbare ", dit-elle, elle parle de la bure, je suis aussi traducteur de langue nymphe, elle appelle ses compagnes, et leur dit en substance : un homme, un homme, baisons-le, baisons-le ! Cela les change des boucs même s’ils sont boucs seulement par les pieds.
Problème : ces nymphes si belles, si éternelles dans leur vie nymphale, vieillissent dès qu’elles touchent à un humain. Notre humanité déglingue les nymphes, on est vraiment des pauvres types. Celles qui se sont approchées de frère Mino, tendu sous sa bure et qui était donc prêt à les baiser, deviennent horribles, leurs bouches n’ont plus de dents, leurs cheveux gris pendent de chaque côté de leur tête comme des serpillières (et des serpillières du XVIIème siècle, je ne te fais pas de dessin), leur cul se creuse, elles bavent, sentent mauvais, enfin bref on comprend ce que je veux dire.
Et donc frère Mino se recroqueville sous sa bure, il n’a plus envie, mais alors plus du tout, son sifflet est coupé. Qu’on se mette à sa place un peu, ah, je nous y vois bien, hein !
Alors furieuses, les nymphes se vengent, elle se précipitent sur lui, le tabassent, l’étendent presque mort sur le sol et…et je laisse maintenant la parole à Anatole. À toi, Anatole !
Ayant dit, la vieille s’accroupit sur le religieux et l’inonda d’une eau infecte (elle lui pisse dessus, quoi !). Chaque sœur à son tour en fit autant, puis elles regagnèrent l’une après l’autre le tombeau de Saint Satyre où elles entrèrent par une petite fente du couvercle, laissant leur victime étendue dans un ruisseau d’une insupportable puanteur.
Moralité, mon moine, c’est que, vieille ou pas vieille, lorsque la chose est lancée, tu ne peux plus reculer, sinon on te pissera dessus, c’est sûr. Et toi aussi lecteur que cela te serve de leçon.
L’érudition de France ? Il lui a fallu dix-sept pages, avec des références aux saints, aux dieux de l’Olympe, au paradis, à l’enfer, alors que l’essentiel pouvait être dit en quelques mots comme je viens de le faire. Tout dépend évidemment où on place l’essentiel.
Cette histoire, titrée Saint Satyre est issue d’un recueil de nouvelles intitulé Le Puits de sainte Claire, écrit par France, dit Anatole, et publié en 1893.
Si j’en trouve d’autres, d’aussi graveleuses, je les servirai aussi, avec autant de grâce, de légèreté et de pureté que ce que je viens de faire.
 
Le tableau: Jordaens
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