mercredi 13 juin 2012


FEUILLETON TRAGIQUE
 
PARTIE 1
 
BOLLINGER, VIEILLES VIGNES, 1995
 
Lors de cet événement, je rencontrai la mort.
Pour elle comme pour moi, tout avait pourtant bien commencé,.
Je l’appellerai Hortense, afin d’éviter qu’on ne la reconnaisse dans les péripéties de cette horrible histoire, son sort en dépend. Nous nous étions rencontrés chez des amis et, je ne sais pas pourquoi, elle s’était, ce jour-là, confié à moi qu’elle voyait pour la première fois. Etait-ce mon sourire stupide qui l’y engageait? L’abus de champagne que l’on servit ce soir-là avait-il suscité ces confidences ? Un Bollinger Vieilles vignes de 1999 tout de même, comment se modérer et refuser une griserie par lui dispensée, et pour quelle raison le ferait-on ? Elle m’avait dit ses tristesses, sa douleur d’être délaissée par son mari, et l’amertume de sa solitude. Ses paroles plaintives, sa longue robe noire, ses cheveux blonds ruisselant dans son dos, lui faisaient la physionomie alarmée d’une mater dolorosa au pied de la croix. Soucieux de ne pas trop séjourner dans les parages de ce Golgotha mental, nous nous étions installés auprès d’une cheminée sur le manteau de laquelle était accroché le portrait d’un cavalier mort depuis longtemps, et de son cheval décédé lui aussi, nous y posions alternativement nos flûtes que des types en livrée remplaçaient, même entamées, aussi étaient-elles toujours fraîches et nous non !
De haut en bas, les fenêtres de l’hôtel particulier étaient illuminées. À l’extérieur on aurait pu croire que l’immeuble brûlait. Des véhicules avec chauffeur livraient sur le trottoir des fournées de gens luisant comme des parapluies sous une averse. Virevoltant et hautains ils s’engouffraient sous le porche. Sur le boulevard, des curieux, épatés, observaient ce manège mondain et assez ridicule, il faut bien le dire. Dedans, sous des lustres de cristal et dans les reflets des parquets cirés, c’était un bal à la Hofburg, sans François-Joseph et ses rouflaquettes, celui qui nous accueillait tenant plutôt du maître des forges opulent. Il avait fait fortune avec une ténébreuse affaire de promotion immobilière, dans laquelle il avait été le seul à ne pas aller en prison, un as, empochant tout l’argent et conservant sa virginité pénale. Il recevait, sur le palier du premier étage, en haut du grand escalier, devant ses salons, son épouse parfumée et nue, à côté de lui, des épaules, les hommages d’une ruée de corps diplomatiques fort décolletés eux aussi, pour certaines surtout. Aussitôt présentés les invités se précipitaient vers les points de ravitaillement et leur principale préoccupation consistait à se jalouser, tout en se saluant avec chaleur lorsqu’ils se croisaient, de se haïr devant les buffets parce que l’un d’entre eux s’y était amarré définitivement ou chipait un petit four convoité par l’autre, parfois de se désirer subrepticement, et même objectivement dans des angles de portes ou des placards entrouverts. Je ne sais pas ce qui me valait de participer à ce genre de soirée, moi qui n’étais pas plus pique assiette qu’un autre et qui possédais une discrétion de musaraigne.
Hortense était une grande dame, pas dans l’altitude, par sa position dans le monde j’entends, et moi j’étais médiocre pour ne pas dire petit dans les deux domaines.
Trouverai-je la force de continuer cette histoire ? Ce drame, dont je suis un des protagonistes, jamais divulgué jusqu’à ce jour et si exemplaire dans son horreur qu’on pourrait le croire inventé, doit pourtant être conté. Qui le ferait sinon ?
(A suivre) 
le peintre: Jack Vettriano
 
 

 

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