lundi 11 juin 2012


MESSIEURS, MÉFIEZ-VOUS DES POULETS FERMIERS
 
LE CAS SNEIJDER
 

 
Je n’aimais déjà pas les ascenseurs, les escaliers non plus, je ne suis peut-être qu’un rez-de-chaussée au fond mais avec Le Cas Sneijder de Jean-Paul Dubois, je crois que je vais rester au ras du sol et même m’enfoncer dans la cave.
Le Sneijder en question (pourquoi ce nom si compliqué à écrire ? Serait-ce parce que l’auteur s’appelle Dubois ? Qu’il rêve d’un patronyme plus singulier ?) emprunte donc un ascenseur qui tombe de je ne sais plus quel étage dans un de ces grotesques immeubles (on est au Canada, alors hein !), haut et long comme un cou de girafe, et s’écrase dans le hall en aplatissant ses passagers, quatre ou cinq bonhommes pas importants (pour la suite de l’histoire) et la fille de ce Sneijder, Marie, qui lui se prénomme Paul, et je décide immédiatement de ne plus l’appeler que Paul.
Le seul à en réchapper c’est Paul mais avec une cervelle en potage. Il ne s’aperçoit de rien mais sa famille, oui. Sa famille c’est donc sa fille Marie, née de son premier mariage, mais elle est aplatie et ne sert plus à rien, Anna sa seconde épouse, cadre chic d’une entreprise qui lui a fait deux jumeaux, pas l’entreprise, Paul, des imbéciles, dit Paul, qui exercent des professions stupides dans le genre avocat ou conseiller fiscal et n’ont même pas voulu connaître leur demi-sœur durant sa vie, et maintenant c’est trop tard puisqu’elle est dans une urne.
Après cet accident, l’urne est funéraire, j’ai omis de le préciser, après cet accident donc, tout se déglingue pour Paul. Ce n’était déjà pas le paradis, on le comprend, quitter Toulouse et les vallées ariégeoises pour aller vendre du vin français au Canada, habiter une grande ville, Montréal, et s’y faire en plus péter les jambes, à cause d’un ascenseur qui choit, il n’y a pas à dire, c’est d’une grande absurdité.
Anna, la femme de Paul, se fait sauter deux fois par semaine (déjà avant l’accident de Paul, elle avait goûté à la chose) par un commercial calamistré, dans un petit studio, en ville, jouxtant un volailler à qui, après chaque saillie, elle achète un poulet fermier. Paul, ces jours-là, en rongeant les os (du poulet), grommelle mentalement, " tiens elle s’est envoyée en l’air ".
Messieurs les hommes méfiez-vous des poulets fermiers.
Mais Paul s’en fout, il n’a plus la tête à ça, il a décidé de consacrer sa vie aux ascenseurs, échapper à la mort dans une cabine qui s’écrase comme une figue mure, cela vous remplit la tête d’engrenages, de portes qui coulissent et de câbles qui grincent et de boutons rouges d’urgence.
Dans l’attente de l’indemnité qu’il est en train de réclamer à Otis, le fabricant de la navette explosée, Paul renonce à la vente de vins français, ce qui est une excellente nouvelle pour les vins car il me semble qu’il n’y connaissait pas grand chose, et décide de promener des chiens, il paraît que c’est une fonction tout à fait convenable au Canada, où on respecte les clébards et on assassine à tour de bras les bébés phoques, et les ours après avoir liquidé un maximum d’Indiens.
Ceci n’est pas dans le roman. Mais un roman n’est utile que pour faire penser à autre chose qu’au roman. Pourquoi en lirait-on sinon ? Et, ça tombe bien car des ascenseurs, des chiens, des poulets fermiers, bof ! autant s’intéresser aux ours et même aux saumons.
On se souvient d’Une vie française et de Kennedy et moi, on retrouve dans Le Cas Sneijder la veine traditionnelle de Jean-Paul Dubois, sa dérision, sa virtuosité pour écrire des morceaux d’une grande drôlerie, je pense aux dialogues de Paul et d’Anna, dans le style, Anna : " Quoi des chiens, ne me dis pas que tu vas promener des chiens ! De quoi aurai-je l’air, moi ta femme ? ". Je pense aussi aux portraits des propriétaires de chien, et à ces passages d’une grande férocité où Paul écrabouille ses deux fils, ou encore à ceux très émouvants d’un père évoquant sa fille.
C’est à lire, même les chiens y trouveront leur compte, ils sont moins méprisables que certains personnages du roman.

Au pinceau: Roy Lichtenstein
 
 


 
 
 
 

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