FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
PARTIE 5
COUP DE FOUDRE À LA GRANDE BRETÈCHE
Tout à coup, par la fenêtre entrouverte, on entendit des bruits de pneus sur les gravillons blancs.
" Mon mari ! " fit Hortense.
Le cri des mouettes (des mouettes
forestières) et celui des pélicans lassés des longs voyages cessèrent,
celui des grands effrois commençait.
Les opérations amoureuses définitives
étaient lancées mais non encore menées à terme, un froid se fit en moi.
J’étais ours blanc sur une banquise. C’était bel et bien son mari, elle
reconnut ses pas dans l’escalier. D’un doigt impératif elle me désigna
son cabinet de toilette, et d’un autre non moins, collé sur ses lèvres,
elle m’intima le silence, je n’eus pas à récupérer mes frusques étalées
par terre puisque j’étais encore en fleurs et en bermuda. La madone
quittant son masque éplorée ainsi que celui, ragaillardi, que mon assaut
probable laissait deviner et se muant en Jeanne d’Arc, fit face au
danger. Et dans ce rôle, elle était encore époustouflante de séduction
féminine. Un de mes fantasmes secrets consiste à me faire fouetter, moi
nu sous un oriflamme bardé de fleurs de lys, par Jeanne d’Arc revêtu de
son armure et de sa sainteté. Mais je n’ai pas le temps d’en parler, une
autre fois peut-être. Je bondis. Ou plutôt je tombai du lit puis me
précipitai vers la cachette providentielle qu’Hortense m’avait indiquée.
Lorsque le dit mari ouvrit la porte de
la chambre à coucher, j’avais refermé celle de son cabinet, ne laissant
aucune trace apparente de mon passage, sauf, semblait-il, le désordre
de la tenue d’Hortense qui le fit hoqueter, un désordre préparatoire qui
n’était pas encore les signes d’un engagement ferme et définitif dans
un corps à corps introductif mais ne laissait guère planer de doutes,
quant au projet commun qui nous avait réunis sur cette satanée couche ex
nuptiale et quasi adultérine.
Ni d’un soupir, ni d’un tremblement de
lèvres, je ne ratais le combat qu’Hortense allait livrer, il était de
ceux, féminins et pourtant féroces, qui ne sacrifiant pas à l’outrance,
au bruit, à l’agitation ou à la violence, laissent les hommes interdits,
sans forces, emportés par une lame de fond qu’ils n’avaient pas senti
arriver.
L’oreille collée à la porte du cabinet
de toilette, apeuré et tremblant, je m’attendais à voir le mari entrer,
furieux, dans mon réduit, me provoquer en duel ou me rouer de coups ou
bien, était-il armé ? me ficher une balle entre les deux yeux.
Il paraissait inquiet mais sa voix était apaisée :
" Madame, que vous arrive-t-il ? ", fit-il.
" Rien, mon ami, peut-être un peu de fièvre ", dit-elle en se raclant la gorge.
Et je suppose, mais je ne la voyais
pas, qu’elle passait sa main dans ses cheveux comme l’on fait lorsqu’on
souffre de migraine, elle fit encore :
" Et puis, mon ami, je suis tracassé par ces pantoufles que je ne trouve pas. "
" Vous voulez dire vos mules ? "
" Oui, bon, si vous voulez, mes mules ".
" Je vais vous faire monter un peu de tisane, par Rosalie ", dit-il d’un ton plein de sollicitation.
Tandis que moi, en sourdine derrière la porte :
Rosalie, Rosalie, oh, !
Rosalie, Rosalie, ah !
Il faut savoir que même dans les pires
circonstances le ritournellage ne cesse jamais. Je m’en voulais, mais
c’était ainsi, ma situation n’était pas vaudevillesque comme on pourrait
le craindre, elle évoluait vers le drame romantique dans toute sa
splendeur avec tout ce que cela comporte de taux de mortalité possible,
pourtant je chantonnais. À bien y réfléchir je me demande si ce n’est
pas plutôt dans les tragédies antiques que le taux d’hémoglobine est le
plus élevé. Mais, ici, à deux pas d’une baignoire, et d’un mari trompé,
je n’étais pas dans la littérature.
" Et Rosalie montera vos mules aussi,
puisque vous semblez y tenir ", continua l’époux en situation de
cocufiage encore non consommé.
J’en savais quelque chose, cette
interruption m’avait coupé le sifflet. Pourtant mon excitation douchée
par l’irruption du mari était en passe de reprendre des forces sous une
influence purement physiologique nonobstant les immenses dangers que je
vivais. Certaines images des délices promis et désormais compromis,
parvenaient, malgré la précarité de ma situation à traverser un esprit
que suralimentaient les senteurs capiteuses des produits de beauté
féminins m’environnant. Le beau sexe m’enivrait. Les apprêts, les
crèmes, les huiles essentielles ou pas, tout ce que la peau des femmes
fréquente échauffe mon âme et se transmet aussitôt à mon corps. Un
parfum de femme est un chemin bordé de lilas blancs, disait Robespierre.
Rosalie, Rosalie, oh !
Rosalie, Rosalie, ah !
Ça continuait encore et encore.
Imbécile que j’étais. À deux doigts de la mort, je ne pensais qu’aux
lilas et je chantais. Etait-ce mon chant du cygne ?
Soudain, le mari, comme s’il voulait surprendre Hortense, sa voix étant monté dans des octaves pleins de reproches, fit :
" Madame, il y avait quelqu’un dans votre chambre "
" Quoi, que dites-vous ? Comment osez-vous ? "
J’imaginais Hortense, assise sur son
lit, replaçant un sein qui s’était extrait de la chemise de nuit qu’elle
avait eu le temps de passer lors de ma marche d’approche et tenant tête
à son mari si dédaigneux d’elle en général. Les hommes sont tels qu’ils
veulent paraître détachés de tout sauf justement de ce qu’on tente de
leur prendre, qui les embarrassait auparavant et devient soudain
précieux parce que menacé. Va-t-en comprendre ! De quoi se préoccupait
donc Horace ? Il s’appelait Horace, il me semblait avoir entendu
prononcer son prénom par Hortense. Qu’arrivait-il donc à Horace qui
d’ordinaire n’entrait dans cette chambre que pour réclamer qu’on lui
fasse le nœud de cravate ou qu’on lui retrouve des chaussettes ? Ne
vivait-il pas sa propre vie ? Les maris sont ainsi, ils perturbent
bêtement les amants de leur femme et, dans mon cas, Horace de la Grande
Bretèche m’avait rejeté sur la grève comme un dauphin mort et asexué. Je
ne faisais plus de ronds dans l’eau, je palpitais mortellement sur le
sable. Il me semblait voir les cheveux d’Hortense dégouliner sur ses
épaules et son air altier d’Amazone se battant pied à pied devant un ver
de terre.
" Sur la tête de mes enfants… " fit Hortense.
Tiens ! Elle avait des enfants.
Je passe des détails, d’ailleurs je
n’entendais pas tout derrière ma porte, mais soudain, en baissant les
yeux, je vis, terrorisé, la poignée bouger un peu, un mouvement
imperceptible signalant seulement la possibilité que la porte s’ouvrit,
Horace allait entrer dans mon refuge qui ne possédait aucune autre
sortie, il dit :
" Souffrez, madame, que je vérifie quelque chose ".
L’oreille collée au bois, j’entendais sa respiration.
" Comment, Horace, (oui, c’était bien
son prénom), oseriez-vous douter de ma parole ? J’ai juré sur ce que
j’ai de plus cher. Si vous entrez dans ce cabinet tout sera fini entre
nous, j’en fais le serment ".
Longue hésitation de l’Horace en
question, la poignée bougea encore, oh ! à peine, mais elle bougea, je
tentai de me cacher, en vain, sous le lavabo, scrutant, comme s’il
s’agissait de la lame d’une guillotine, la porcelaine de Limoges de chez
Jacob Delafon qui frémissait toujours prédisant ma détresse future.
Enfin, après un temps, elle reprit sa position normale et j’entendis :
" Je vous crois, Madame "
" Mais ! ", ajouta-t-il, sèchement
après une pause, avec, je suppose, un sourire sur les lèvres que,
derrière ma porte, j’assimilai à un rictus.
Puis plus rien, le silence s’installa, troublé par un chuchotis d’Horace vers Rosalie, doudou, dodue, venue prendre ses ordres dans la chambre.
(A suivre)
le peintre: Jack Vettriano
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