FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
PARTIE 4
LES MULES
Cet incident pseudo musical allège la
sombre moiteur du drame que j’ai vécu en compagnie d’Hortense, mais ne
nous y trompons pas, malgré ce Rosalie, Rosalie qui semble
l’entraîner vers la variété déliquescente et l’allégresse factice, nous
côtoyons d’ores et déjà les ténèbres, et je me dois d’aller jusqu’au
bout de mon récit, quoiqu’il m’en coûte, même si la fin est tragique. Un
Requiem y suffirait-il ?
Très grave, gêné par ma tenue de
music-hall bon marché, mon réticule à la main, je m’approchai, emprunté,
et non encore remboursé, du salon d’Hortense dont les murs étaient
recouverts d’une tapisserie représentant l’embarquement pour Cythère
d’un côté et le sac de Byzance par les croisés de l’autre. Elle était à
nouveau en pleurs dans un fauteuil à fleurs. L’élixir dispensateur d’une
certaine félicité dont, ne doutant de rien, je croyais être porteur, ne
faisait plus d’effet. Mon charme s’évanouissait.. J’y étais habitué, je
ne plais en général que d’une manière éphémère. Je surprends, je
séduis, je me ridiculise, je désillusionne et hop ! on me chasse
aussitôt dans un enchaînement immuable et quasi instantané. Me
précipitant aux genoux d’Hortense, je tapotais ses mains :" Hortense,
qu’avez-vous ? ", " Hortense, permettez-moi de ", et j’essuyais ses
yeux, on se serait cru dans un roman à trois sous ou dans un numéro de
prestidigitateur car tapoter des mains et essuyer des yeux en même
temps, est un exercice d’une grande virtuosité. Mais dans ces
circonstances, je réussissais pleinement.
La prenant alors par le bras, avec
délicatesse et componction, je décidai de l’accompagner vers sa chambre
qui béait, l’utilisation de cette forme très rare de la conjugaison du
verbe béer rendant mieux, me semble-t-il, et d’une manière plus
dynamique, dans de telles circonstances, l’expression de l’état de ce
qui bée. " Que faites-vous ?" gémissait, debout, Hortense, la tête
douloureusement penchée vers le sol et tenant son avant-bras, le droit,
au devant de son front. La madone était de retour et dans l’éploration,
qui est une forme introuvable de l’éplorement déjà fort rare lui aussi,
Hortense pouvait tout jouer, là c’était Ste Thérèse de l’Enfant Jésus.
" Hortense, je vous conduis dans votre
chambre, vous pourrez y trouver quelque repos ". Etait-ce la
gentilhommière au fond des bois qui suscitait en moi ce langage
inhabituel, j’avais l’impression de parler à la manière de Balzac, des
ses héros plutôt, sans doute m’y sentais-je obligé à cause de la
noblesse des lieux et de mon aptitude grotesque à me croire toujours
dans un roman. Car c’est là qu’on réside le mieux, me dis-je a continuo.
" Reposez-vous, je vous en prie, ça ira mieux. Ne vous tracassez point, j’ai votre sac ".
Je craignais qu’elle ne se lamentât à
cause de son sac égaré. Elle ouvrit ses yeux : " Mon Dieu, l’été est
entré dans ma chambre " fit-elle en sursautant, au vu de ma chemise et
de mon bermuda, tout en esquissant un sourire que j’aurais pu juger
réconfortant s’il n’avait pas fallu l’attribuer à mon ridicule
vestimentaire. " La récolte sera bonne avec la promesse de toutes ces
fleurs " ajouta-t-elle. Elle pouffa puis pleura derechef. J’étais gêné.
Ces fleurs, je ne pouvais même pas les glisser dans un vase. Après
m’avoir trouvé drôle le temps d’un regard, elle avait à présent franchi
un seuil qui m’installait résolument dans le grotesque. Les fleurs de ma
chemise ployaient leur cou. Et moi aussi. Le mystère Hortense et ses
alternances d’émotions antagonistes ne cessaient pas de me troubler.
" Où sont passés vos pantoufles ? "
fis-je pour tenter de changer de sujet et parce que ayant posé Hortense
sur son lit et l’ayant délicatement allongée, je voulais la resituer
dans ses conditions d’origine, la rassurer en quelque sorte et les
pantoufles au pied du lit sont apaisantes, elles composent un art de
vivre commun à toute l’humanité, à la Grande Bretèche comme à Fleury
Mérogis. D’un bout à l’autre de la terre, disait ce politicien félon,
une valeur nous est commune, la pantoufle. Il était sans cesse réélu.
Pas de pantoufles.
Je me permis de fouiller les armoires,
les commodes, les penderies, pas de pantoufles ! en revanche des
culottes et des soutiens-gorge en avalanche mirent mes sens à rude
épreuve. Les dessous dispendieux non millésimés provoquent chez moi les
mêmes effets que le Bollinger millésimé. Je pétille et mes bulles
crèvent la surface.
" Qu’avez-vous, monsieur " fit-elle, allongée, quasi abandonnée et me voyant ému jusqu’à la moelle épinière.
" Rien, madame " répondis-je, défait et exorbité, ce sont ces pantoufles… "
"Vous voulez dire, mes mules ?"
Oh, oui, bon !
Devais-je continuer ma quête
pantouflière ? Oui certes, même si c’était trop tard, le sac à main et
celui de Byzance, joints aux montagnes apparues de lingerie intime
avaient pourri la situation en me hissant à un stade d’ébullition que
Godefroy de Bouillon, lui-même n’avait jamais connu et qu’aucun lac de
Norvège n’aurait pu refroidir. Hortense continuait d’osciller entre
tristesse et hilarité. Me voyant tout en fleurs et m’entendant marmonner
de temps en temps, au long de mes investigations des Rosalie, Rosalie, elle
lâchait des rires clairs comme des sources de montagnes et aussitôt
après des sanglots longs comme des violons, et ces affects
aphrodisiaques à deux versants me portaient à des désirs
incommensurables d’autant que s’y joignait le doudou, dodue mental de Rosalie.
J’étais en feu. Ce fut une catastrophe
pour tous les deux, elle me coûta la vie, elle y laissa une partie de
la sienne. La tragédie s’avance, on le sent bien. Des choses définitives
vont avoir lieu.
Se trouvant aux côtés d’une femme en
pleurs sur son lit, belle comme un yacht de milliardaire saoudien, et
qu’il convient de consoler, car c’est le devoir de tout homme,
qu’arrive-t-il, hein, qu’arrive-t-il en général ? D’autant que le
bermuda permet d’amples développements sous-jacents.
De fil en aiguille, les réconforts, de
sentimentaux deviennent tactiles, et de purement consolateurs
entièrement charnels et ayant lu tous les livres, la chair n’est pas si
triste hélas et les oiseaux pas tous ivres, alors le toucher amène
l’envie de voyages. Je rêvais de rivages inconsidérés, et elle aussi je
suppose, car ses gémissements se transformaient en plaintes plutôt
lascives que n’auraient pas désavoué les sirènes d’Ulysse. Elle avait
séché ses larmes et sa voix, entre ses lèvres, émettait des sonorités de
vents alizés, il ne nous restait plus qu’à voguer d’île en île, les
voiles étaient carguées, les flancs du navire frémissaient, nous
pouvions appareiller, et nous imaginions accoster et désaccoster, au gré
de nos envies, le long des golfes clairs, dans un mouvement infini que
la mer et ses douces ondulations, ne cesseraient pas de rythmer.
Pourtant nous n’en étions qu’aux préparatifs.
Au loin Cythère apparaissait à peine, des nuages ceignaient ses contours.
Une tempête ?
(A suivre)
le peintre: Jack Vettriano
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