mardi 3 juillet 2012


FEUILLETON TRAGIQUE (SUITE)
 
PARTIE 4
 
LES MULES
 
Cet incident pseudo musical allège la sombre moiteur du drame que j’ai vécu en compagnie d’Hortense, mais ne nous y trompons pas, malgré ce Rosalie, Rosalie qui semble l’entraîner vers la variété déliquescente et l’allégresse factice, nous côtoyons d’ores et déjà les ténèbres, et je me dois d’aller jusqu’au bout de mon récit, quoiqu’il m’en coûte, même si la fin est tragique. Un Requiem y suffirait-il ?
Très grave, gêné par ma tenue de music-hall bon marché, mon réticule à la main, je m’approchai, emprunté, et non encore remboursé, du salon d’Hortense dont les murs étaient recouverts d’une tapisserie représentant l’embarquement pour Cythère d’un côté et le sac de Byzance par les croisés de l’autre. Elle était à nouveau en pleurs dans un fauteuil à fleurs. L’élixir dispensateur d’une certaine félicité dont, ne doutant de rien, je croyais être porteur, ne faisait plus d’effet. Mon charme s’évanouissait.. J’y étais habitué, je ne plais en général que d’une manière éphémère. Je surprends, je séduis, je me ridiculise, je désillusionne et hop ! on me chasse aussitôt dans un enchaînement immuable et quasi instantané. Me précipitant aux genoux d’Hortense, je tapotais ses mains :" Hortense, qu’avez-vous ? ", " Hortense, permettez-moi de ", et j’essuyais ses yeux, on se serait cru dans un roman à trois sous ou dans un numéro de prestidigitateur car tapoter des mains et essuyer des yeux en même temps, est un exercice d’une grande virtuosité. Mais dans ces circonstances, je réussissais pleinement.
La prenant alors par le bras, avec délicatesse et componction, je décidai de l’accompagner vers sa chambre qui béait, l’utilisation de cette forme très rare de la conjugaison du verbe béer rendant mieux, me semble-t-il, et d’une manière plus dynamique, dans de telles circonstances, l’expression de l’état de ce qui bée. " Que faites-vous ?" gémissait, debout, Hortense, la tête douloureusement penchée vers le sol et tenant son avant-bras, le droit, au devant de son front. La madone était de retour et dans l’éploration, qui est une forme introuvable de l’éplorement déjà fort rare lui aussi, Hortense pouvait tout jouer, là c’était Ste Thérèse de l’Enfant Jésus.
" Hortense, je vous conduis dans votre chambre, vous pourrez y trouver quelque repos ". Etait-ce la gentilhommière au fond des bois qui suscitait en moi ce langage inhabituel, j’avais l’impression de parler à la manière de Balzac, des ses héros plutôt, sans doute m’y sentais-je obligé à cause de la noblesse des lieux et de mon aptitude grotesque à me croire toujours dans un roman. Car c’est là qu’on réside le mieux, me dis-je a continuo.
" Reposez-vous, je vous en prie, ça ira mieux. Ne vous tracassez point, j’ai votre sac ".
Je craignais qu’elle ne se lamentât à cause de son sac égaré. Elle ouvrit ses yeux : " Mon Dieu, l’été est entré dans ma chambre " fit-elle en sursautant, au vu de ma chemise et de mon bermuda, tout en esquissant un sourire que j’aurais pu juger réconfortant s’il n’avait pas fallu l’attribuer à mon ridicule vestimentaire. " La récolte sera bonne avec la promesse de toutes ces fleurs " ajouta-t-elle. Elle pouffa puis pleura derechef. J’étais gêné. Ces fleurs, je ne pouvais même pas les glisser dans un vase. Après m’avoir trouvé drôle le temps d’un regard, elle avait à présent franchi un seuil qui m’installait résolument dans le grotesque. Les fleurs de ma chemise ployaient leur cou. Et moi aussi. Le mystère Hortense et ses alternances d’émotions antagonistes ne cessaient pas de me troubler.
" Où sont passés vos pantoufles ? " fis-je pour tenter de changer de sujet et parce que ayant posé Hortense sur son lit et l’ayant délicatement allongée, je voulais la resituer dans ses conditions d’origine, la rassurer en quelque sorte et les pantoufles au pied du lit sont apaisantes, elles composent un art de vivre commun à toute l’humanité, à la Grande Bretèche comme à Fleury Mérogis. D’un bout à l’autre de la terre, disait ce politicien félon, une valeur nous est commune, la pantoufle. Il était sans cesse réélu.
Pas de pantoufles.
Je me permis de fouiller les armoires, les commodes, les penderies, pas de pantoufles ! en revanche des culottes et des soutiens-gorge en avalanche mirent mes sens à rude épreuve. Les dessous dispendieux non millésimés provoquent chez moi les mêmes effets que le Bollinger millésimé. Je pétille et mes bulles crèvent la surface.
" Qu’avez-vous, monsieur " fit-elle, allongée, quasi abandonnée et me voyant ému jusqu’à la moelle épinière.
" Rien, madame " répondis-je, défait et exorbité, ce sont ces pantoufles… "
"Vous voulez dire, mes mules ?"
Oh, oui, bon !
Devais-je continuer ma quête pantouflière ? Oui certes, même si c’était trop tard, le sac à main et celui de Byzance, joints aux montagnes apparues de lingerie intime avaient pourri la situation en me hissant à un stade d’ébullition que Godefroy de Bouillon, lui-même n’avait jamais connu et qu’aucun lac de Norvège n’aurait pu refroidir. Hortense continuait d’osciller entre tristesse et hilarité. Me voyant tout en fleurs et m’entendant marmonner de temps en temps, au long de mes investigations des Rosalie, Rosalie, elle lâchait des rires clairs comme des sources de montagnes et aussitôt après des sanglots longs comme des violons, et ces affects aphrodisiaques à deux versants me portaient à des désirs incommensurables d’autant que s’y joignait le doudou, dodue mental de Rosalie.
J’étais en feu. Ce fut une catastrophe pour tous les deux, elle me coûta la vie, elle y laissa une partie de la sienne. La tragédie s’avance, on le sent bien. Des choses définitives vont avoir lieu.
Se trouvant aux côtés d’une femme en pleurs sur son lit, belle comme un yacht de milliardaire saoudien, et qu’il convient de consoler, car c’est le devoir de tout homme, qu’arrive-t-il, hein, qu’arrive-t-il en général ? D’autant que le bermuda permet d’amples développements sous-jacents.
De fil en aiguille, les réconforts, de sentimentaux deviennent tactiles, et de purement consolateurs entièrement charnels et ayant lu tous les livres, la chair n’est pas si triste hélas et les oiseaux pas tous ivres, alors le toucher amène l’envie de voyages. Je rêvais de rivages inconsidérés, et elle aussi je suppose, car ses gémissements se transformaient en plaintes plutôt lascives que n’auraient pas désavoué les sirènes d’Ulysse. Elle avait séché ses larmes et sa voix, entre ses lèvres, émettait des sonorités de vents alizés, il ne nous restait plus qu’à voguer d’île en île, les voiles étaient carguées, les flancs du navire frémissaient, nous pouvions appareiller, et nous imaginions accoster et désaccoster, au gré de nos envies, le long des golfes clairs, dans un mouvement infini que la mer et ses douces ondulations, ne cesseraient pas de rythmer.
Pourtant nous n’en étions qu’aux préparatifs.
Au loin Cythère apparaissait à peine, des nuages ceignaient ses contours.
Une tempête ?

(A suivre) 
le peintre: Jack Vettriano
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire