(Ecrit en 2008)
LE KARCHER DE L’AVENUE DE VILLIERS

NANA
C’est l’histoire d’une artiste de
variétés, qui est belle, qui est devenue la coqueluche du tout Paris et
qui finit par occuper une situation très en vue.
Nous sommes au XIXème siècle, durant les dernières années du second Empire et cette artiste reconnue, c’est Nana.
Pour une fois l’imagination de Zola est un peu courte.
Au XXIème siècle, toujours à
Paris, on a vécu une histoire plus belle encore et cette fois-ci la
chanteuse de variétés est parvenue au faîte du pouvoir.
Qui n’a pas lu Nana ? Je ne
vais pas faire trop de commentaires sur ce roman, un des plus connus de
Zola. Je me suis amusé à le lire sous l’angle particulier de la
dilapidation des fortunes qui, par la magie de la plume de Zola, devient
un somptueux exercice. Comment oublier la décadence morale et
financière du comte Muffat, ce familier des Tuileries qui met Nana dans
ses meubles, en l’occurrence un hôtel particulier de l’avenue de
Villiers, et bouffe son immense patrimoine en imaginant s’assurer une
exclusivité à laquelle il est bien le seul à croire ? Il se ruinera à la
manière du baron Hulot de Cousine Bette. Il y perdra tout, sa
fortune, la confiance de l’empereur, sa fille qu’il donnera en mariage à
un ex-amant de Nana, et sa femme, la comtesse Sabine, qui d’adultères
en adultères, finira par se taper nuitamment des cochers dans des
fiacres. Et pendant ce temps Nana croque, n’en finit plus de croquer :
elle tire huit à dix mille francs par mois au comte Xavier de Vandoeuvres, celui-ci
achevait alors sa fortune dans un coup de fièvre chaude. Ses chevaux et
Lucy lui avaient mangé trois fermes, Nana allait d’une bouchée avaler
son dernier château, près d’Amiens.
Cette ascension de Nana sur les
pierres des palais qu’elle jette à terre, la terre des champs qu’elle
moissonne, les moulins dont elle brise les ailes, les titres ou les
rentes d’état qu’elle brûle en une flambée et sa capacité à ruiner un
type d’un mouvement de robe et dans l’éclat d’un diamant sont
admirablement bien rendues : Elle domina la ville de l’insolence
affichée de son luxe, de son mépris de l’argent, qui lui faisait fondre
publiquement les fortunes. Dans son hôtel il y avait comme un éclat de
forge. La fortune de Steiner, dévorée : elle finit Steiner, elle
le rendit au pavé, sucé jusqu’aux moelles, si vidé qu’il resta même
incapable d’inventer une coquinerie nouvelle, l’héritage de M. de La Faloise, englouti : elle
brûlait la terre où elle posait son petit pied. Ferme à ferme, prairie à
prairie, elle croqua l’héritage, de son air gentil, sans même s’en
apercevoir, comme elle croquait entre ses repas un sac de pralines posé
sur ses genoux. Ça ne tirait pas à conséquence, c’étaient des bonbons.
Mais, un soir, il ne resta qu’un petit bois. Elle l’avala d’un air de
dédain, car ça ne valait même pas la peine d’ouvrir la bouche.
Dans son hôtel particulier, la the Nana
travaille au nettoyage des friqués de la haute. Elle rend les fortunes
liquides, puis solubles. Elle est le karcher de l’avenue de Villiers. Un
malstrom, elle racle mieux que le fisc.
Ce karcher a fait dégouliner dans mon
dos et sur mon bas-ventre une sueur glacée. Mon Dieu ! Et si cela nous
arrivait aujourd’hui. Si soudain au sommet de l’état, la volupté
provoquait les mêmes irrépressibles appétits. Si une pareille fringale
venait à l’épouse de notre chef de l’Etat. Tout tremblant, j’ai vu
partir Rambouillet dans un nuage de poussière, disparaître un
porte-avions dans une bouche grande ouverte, un claquement de mâchoires a
emporté le Louvre, la patrouille de France est entrée par une oreille,
la Joconde a disparu aussi vite qu’un cachou Lajaunie, les arbres du
parc de Versailles ont pété comme des allumettes, de la bouche vermeille
et souriante est sorti tout le mobilier national sous forme de
cure-dents, la villa Médicis est tombée entre les mains des Kossovars,
Khadafi a emporté la croix de Lorraine de Colombey les deux églises, et a
promis de nous acheter(il paiera plus tard) Eurodisney, mon Dieu tout y
passera. Devant l’émail immaculé de ses dents, ont défilé des statues,
des musées, des monuments, des cathédrales et la belle riait, chantait,
et avalait tout ce qui passait devant elle. Il ne restera plus rien, me
suis-je dit, même les Allemands ne voudront plus de nos ruines.
Par bonheur, je me suis réveillé, un cauchemar !
Gare, je reste vigilant, l’amour, le sérieux surtout, peut tout.
Cette sacrée fille est capable de nous
bouleverser jusqu’au tréfonds de notre âme, jusqu’au tréfonds de notre
sexe puis-je ajouter, parlant même au nom des femmes (qu’elles me
pardonnent) qu’elle dévorait de ce même appétit et avec cette sorte de
fraîcheur naïve que revêt l’amour innocent, (je suis maintenant revenu
au roman).
Un de ses amoureux, transi, est devenu le toutou à sa mémère,
il ne quittait plus l’hôtel, familier comme le petit chien Bijou, l’un
et l’autre dans les jupes de maîtresse, ayant un peu d’elle, même
lorsqu’elle était avec un autre, attrapant des aubaines de sucre et de
caresse aux heures d’ennui solitaire.
Par le seul génie de Zola, tout humain
normalement constitué, considèrera comme une récompense ou un
privilège, le fait de se traîner aux pieds de Nana, de vider son pot de
chambre, d’être cocu, battu et d’y laisser tout son argent. Ça c’est un
roman !
J’ai envie de faire une critique à
Zola, la littérature m’autorise tout, c’est pour ça que je l’aime, j’ai
été gêné par l’effet de juxtaposition de ses grands tableaux, pourtant
admirables dans leur traitement. Les scènes au théâtre, à la campagne,
aux courses, les soirées chez Nana manquent un peu de liant, je suis
peut-être le seul à me plaindre, mais j’aurais aimé, entre chaque
morceau de bravoure, quelques phases de respiration, de transition où
l’on entende le pas d’un cheval, le craquement d’une bûche où l’on voie
le souffle du vent qui disperse un tapis de feuilles mortes ou fait
courir derrière son chapeau un monsieur à canne et redingote.
Bah ! Ce n’est pas grave.
Nana,
quel beau roman ! je peux m’extasier sans crainte, je ne prends pas de
risques, Flaubert lui-même n’en revenait pas. Il louait une certain
nombre de scènes et notamment la fin du roman dans la chambre d’un
palace parisien, une fin en effet bouleversante.
Mais bon Dieu que j’ai eu peur avec ce cauchemar digestif !
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