mardi 6 novembre 2012

(Ecrit en 2008)

LE KARCHER DE L’AVENUE DE VILLIERS



NANA

 
C’est l’histoire d’une artiste de variétés, qui est belle, qui est devenue la coqueluche du tout Paris et qui finit par occuper une situation très en vue.
Nous sommes au XIXème siècle, durant les dernières années du second Empire et cette artiste reconnue, c’est Nana.
Pour une fois l’imagination de Zola est un peu courte.
Au XXIème siècle, toujours à Paris, on a vécu une histoire plus belle encore et cette fois-ci la chanteuse de variétés est parvenue au faîte du pouvoir.
Qui n’a pas lu Nana ? Je ne vais pas faire trop de commentaires sur ce roman, un des plus connus de Zola. Je me suis amusé à le lire sous l’angle particulier de la dilapidation des fortunes qui, par la magie de la plume de Zola, devient un somptueux exercice. Comment oublier la décadence morale et financière du comte Muffat, ce familier des Tuileries qui met Nana dans ses meubles, en l’occurrence un hôtel particulier de l’avenue de Villiers, et bouffe son immense patrimoine en imaginant s’assurer une exclusivité à laquelle il est bien le seul à croire ? Il se ruinera à la manière du baron Hulot de Cousine Bette. Il y perdra tout, sa fortune, la confiance de l’empereur, sa fille qu’il donnera en mariage à un ex-amant de Nana, et sa femme, la comtesse Sabine, qui d’adultères en adultères, finira par se taper nuitamment des cochers dans des fiacres. Et pendant ce temps Nana croque, n’en finit plus de croquer : elle tire huit à dix mille francs par mois au comte Xavier de Vandoeuvres, celui-ci achevait alors sa fortune dans un coup de fièvre chaude. Ses chevaux et Lucy lui avaient mangé trois fermes, Nana allait d’une bouchée avaler son dernier château, près d’Amiens.
Cette ascension de Nana sur les pierres des palais qu’elle jette à terre, la terre des champs qu’elle moissonne, les moulins dont elle brise les ailes, les titres ou les rentes d’état qu’elle brûle en une flambée et sa capacité à ruiner un type d’un mouvement de robe et dans l’éclat d’un diamant sont admirablement bien rendues : Elle domina la ville de l’insolence affichée de son luxe, de son mépris de l’argent, qui lui faisait fondre publiquement les fortunes. Dans son hôtel il y avait comme un éclat de forge. La fortune de Steiner, dévorée : elle finit Steiner, elle le rendit au pavé, sucé jusqu’aux moelles, si vidé qu’il resta même incapable d’inventer une coquinerie nouvelle, l’héritage de M. de La Faloise, englouti : elle brûlait la terre où elle posait son petit pied. Ferme à ferme, prairie à prairie, elle croqua l’héritage, de son air gentil, sans même s’en apercevoir, comme elle croquait entre ses repas un sac de pralines posé sur ses genoux. Ça ne tirait pas à conséquence, c’étaient des bonbons. Mais, un soir, il ne resta qu’un petit bois. Elle l’avala d’un air de dédain, car ça ne valait même pas la peine d’ouvrir la bouche.
Dans son hôtel particulier, la the Nana travaille au nettoyage des friqués de la haute. Elle rend les fortunes liquides, puis solubles. Elle est le karcher de l’avenue de Villiers. Un malstrom, elle racle mieux que le fisc.
Ce karcher a fait dégouliner dans mon dos et sur mon bas-ventre une sueur glacée. Mon Dieu ! Et si cela nous arrivait aujourd’hui. Si soudain au sommet de l’état, la volupté provoquait les mêmes irrépressibles appétits. Si une pareille fringale venait à l’épouse de notre chef de l’Etat. Tout tremblant, j’ai vu partir Rambouillet dans un nuage de poussière, disparaître un porte-avions dans une bouche grande ouverte, un claquement de mâchoires a emporté le Louvre, la patrouille de France est entrée par une oreille, la Joconde a disparu aussi vite qu’un cachou Lajaunie, les arbres du parc de Versailles ont pété comme des allumettes, de la bouche vermeille et souriante est sorti tout le mobilier national sous forme de cure-dents, la villa Médicis est tombée entre les mains des Kossovars, Khadafi a emporté la croix de Lorraine de Colombey les deux églises, et a promis de nous acheter(il paiera plus tard) Eurodisney, mon Dieu tout y passera. Devant l’émail immaculé de ses dents, ont défilé des statues, des musées, des monuments, des cathédrales et la belle riait, chantait, et avalait tout ce qui passait devant elle. Il ne restera plus rien, me suis-je dit, même les Allemands ne voudront plus de nos ruines.
Par bonheur, je me suis réveillé, un cauchemar !
Gare, je reste vigilant, l’amour, le sérieux surtout, peut tout.
Cette sacrée fille est capable de nous bouleverser jusqu’au tréfonds de notre âme, jusqu’au tréfonds de notre sexe puis-je ajouter, parlant même au nom des femmes (qu’elles me pardonnent) qu’elle dévorait de ce même appétit et avec cette sorte de fraîcheur naïve que revêt l’amour innocent, (je suis maintenant revenu au roman).
Un de ses amoureux, transi, est devenu le toutou à sa mémère, il ne quittait plus l’hôtel, familier comme le petit chien Bijou, l’un et l’autre dans les jupes de maîtresse, ayant un peu d’elle, même lorsqu’elle était avec un autre, attrapant des aubaines de sucre et de caresse aux heures d’ennui solitaire.
Par le seul génie de Zola, tout humain normalement constitué, considèrera comme une récompense ou un privilège, le fait de se traîner aux pieds de Nana, de vider son pot de chambre, d’être cocu, battu et d’y laisser tout son argent. Ça c’est un roman !
J’ai envie de faire une critique à Zola, la littérature m’autorise tout, c’est pour ça que je l’aime, j’ai été gêné par l’effet de juxtaposition de ses grands tableaux, pourtant admirables dans leur traitement. Les scènes au théâtre, à la campagne, aux courses, les soirées chez Nana manquent un peu de liant, je suis peut-être le seul à me plaindre, mais j’aurais aimé, entre chaque morceau de bravoure, quelques phases de respiration, de transition où l’on entende le pas d’un cheval, le craquement d’une bûche où l’on voie le souffle du vent qui disperse un tapis de feuilles mortes ou fait courir derrière son chapeau un monsieur à canne et redingote.
Bah ! Ce n’est pas grave.
Nana, quel beau roman ! je peux m’extasier sans crainte, je ne prends pas de risques, Flaubert lui-même n’en revenait pas. Il louait une certain nombre de scènes et notamment la fin du roman dans la chambre d’un palace parisien, une fin en effet bouleversante.
Mais bon Dieu que j’ai eu peur avec ce cauchemar digestif !
 
 
 
 
 

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