jeudi 22 novembre 2012


DIGRESSIONISME AIGU

 
LA NUIT AMÉRICAINE
 
(ÉCHOS D’UNE VIEILLE BIBLIOTHÈQUE)
 
La nuit américaine est un procédé cinématographique permettant de tourner en plein jour des scènes de nuit. L’éditeur Le Seuil me le dit à la première page d’un roman appelé La Nuit américaine écrit par un nommé Christopher Frank.
Truffaut à qui il arrivait de faire parfois un bon film parmi des choses incroyablement mauvaises telles que La Chambre verte, un des navets les plus ridicules jamais vu par moi, une histoire de bougies et de mort, a réalisé en 1973 La Nuit américaine. En tombant sur cette nuit de Frank parue, elle, en 1972, j’ai aussitôt pensé que la nuit de Truffaut et la sienne ne faisaient qu’une.
Or non !
Ce sont deux nuits différentes. Elles ont toutefois quelque chose en commun : La Nuit américaine de Truffaut retrace les péripéties d’un film en train de se faire et le roman de Frank celles d’une pièce de théâtre en train de s’écrire, de se monter, de s’interpréter et de se vautrer.
Saurais-je un jour les raisons de ces coïncidences entre ces deux œuvres ? Frank est mort, donc aucune explication à attendre de son côté, et Truffaut aussi donc rien non plus.
La Chambre verte de Truffaut, j’y reviens, est basée, paraît-il, sur trois nouvelles d’Henry James, L’Autel des morts, La Bête dans la jungle, et Les Amis des amis, trois nouvelles de cet excellent écrivain pour réaliser ce navet, quel gâchis ! Ce pauvre Henry James ne méritait pas ça. Il est un de mes auteurs préférés, je n’ai pas encore lu ces trois nouvelles, elles sont en ligne de mire, elles m’attendent dans les deux derniers tomes de ses nouvelles complètes, dans l’édition de La Pleiade. Je les ai sous les yeux, je les observe dans leur livrée blanche et leur rhodoïd craquant, je les extrais de temps en temps de leur boite, je les ouvre, lis une phrase au hasard, parfois deux, escomptant mon bonheur futur mais soucieux de ne pas trop l’écorner, je vérifie un titre, je les pèse, les sens, puis je les range à nouveau, en veillant à les installer à un endroit où je peux les voir sans cesse. Je suis un avare qui mourrait s’il ne voyait pas ses trésors accumulés, je suis un Picsou de la littérature, admirant la montagne d’or de sa bibliothèque. Mes yeux sont des reliures, ma peau est du papier, ma langue un marque page, tous mes moments de la journée sont des chapitres et mes nuits des romans entremêlés. Je me feuillette plus que je ne vis.
Je pense à Picsou maintenant, sous des dehors enfantins, ce Walt qui n’était pourtant pas un révolutionnaire développait au fond une critique assez féroce de la société de mon enfance. Même si Donald et Mickey n’agissaient pas en desperados, comme nos Pieds nickelés français, ils stigmatisaient ses zones d’ombre, et se moquaient déjà d’un capitalisme naissant qui resplendit aujourd’hui. Mais ne jetterait-il pas ses derniers feux, ultra incandescents, ce capitalisme, à la manière des géantes rouges du cosmos, avant de se refermer sur lui-même et de mourir ?
Goldman Sachs aussi est le Picsou du XXIème siècle, un Picsou toxique et je ne cesse de me représenter, dans mes cauchemars bancaires, l’état-major de cette banque barbotant dans une piscine remplie à ras bord de " In God we trust ", un God très bienveillant qui bénit les mortelles combinaisons de ces escrocs de haut vol, je les vois, tels des danseuses hawaïennes, parés de pagnes verts, signés, stigmates des ruines qu’ils provoquent, dans leurs raouts new-yorkais, se taper sur les cuisses et rigoler des imbéciles sur lesquels ils prélèvent leur pelote assassine.
Quelque chose me surprend encore, La Nuit américaine de Christopher Frank est sorti le 20 novembre 1972, et a reçu le prix Renaudot en 1972, décerné, on le sait, en même temps que le Goncourt, en novembre. Les jurés l’ont-ils lu dans la nuit ? Non pas une nuit américaine tournée en plein jour mais un jour français filmé en pleine nuit. Un prix gagné d’avance ? Peut-être car des danseurs en pagnes monétaires tournent aussi autour du restaurant Drouant.
Ce Renaudot, Théophraste de prénom, était un journaliste, mort également, comme Frank et Truffaut mais en 1653. Il était né à Loudun en 1586 et fut un humaniste. Mais ce n’est pas le sujet, d’ailleurs quel est le sujet ?
Au point où j’en suis, autant continuer mon grappillage : À Loudun a vécu une nommée Marie Besnard, appelée la " Bonne dame de Loudun " qui ne l’était pas tant que ça (bonne) puisqu’elle se vit accusée d’avoir empoisonné une dizaine de personnes de son entourage dont elle recueillait les héritages. On les exhuma, tous avaient de l’arsenic dans le coco, mais on en trouva aussi dans la terre du cimetière, et comme on ne put prouver que Marie Besnard avait empoisonné tout le cimetière, on l’acquitta.
Comme Goldman Sachs.
Innocente ou coupable, elle avait tout de même tué moins de monde que les rapaces new-yorkais.
Finalement on comprend que je n’ai pas grand chose à dire sur La Nuit américaine de ce brave Christopher Frank.
Paix à son âme.

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