vendredi 2 novembre 2012


DONUTS D’OUTRE ATLANTIQUE
 
 
LA CONFESSION DE GUEST


Les personnages d’Henry James sont des oisifs resplendissants. Débarrassés du souci d’assurer leur quotidien, ils consacrent leur temps aux circonvolutions psychologiques de l’histoire dans laquelle leur créateur les a insérés.
Et ils en rajoutent. Chez Henry James, on ne peut entendre sereinement une musique sans analyser ce qu’elle pourrait signifier si on l’écoutait dans d’autres circonstances, si on la jouait avec de nouveaux instruments, si on changeait de tonalité ou d’interprète, de même que l’on ne peut aimer une jeune fille sans songer à ce qu’elle pourrait penser si on l’aimait moins, ou plus, ou pas du tout, ou autrement, ou plus tard.
Au début, on peste devant cette valse hésitation qui nous fait aller et venir sans qu’on ait le sentiment d’avancer ou de reculer. Halte, se dit-on, James tu ne m’auras pas avec ton pinaillage, on ne me la fait pas à moi.
Il y a bien une petite intrigue pour faire avancer la chose, ici, par exemple dans La Confession de Guest, ce Guest bel homme de parfaite éducation apparent gentleman est d’une honnêteté moyenne si moyenne qu’elle a un jour basculé dans la malhonnêteté. Sa fille musicienne (d’où la musique plus haut), l’objet du désir du narrateur (le narrateur est plein aux as) éprouve une grande affection pour son père lequel se rendant compte que son futur éventuel gendre est non seulement au courant de ses indélicatesses mais a été le témoin de l’humiliation publique que lui a infligée son créancier ne l’agrée pas. Oui, je sais, c’est compliqué à suivre même pour moi. Tant pis, je continue, ce créancier le demi-frère du narrateur d’une santé chancelante si chancelante qu’on le ramassera à la petite cuillère et qu’il rendra son âme une âme honnête mais assez rigide entre les bras de son frère (de son demi-frère donc), a fait signer une reconnaissance de dette à Guest d’où le titre La Confession de Guest. Bon, j’arrête, je ne sais plus où j’en suis. Ah ! oui  dernière chose ce demi-frère (pas le narrateur, l’autre le chancelant) porte le nom de Musgrave et cela n’a aucune importance pour la suite d’autant que son demi-frère l’autre n’en a pas. De nom.
Ceux que ça intéresse doivent pouvoir donner un sens et améliorer ce paragraphe en changeant les parenthèses de place et en revoyant de fond en comble la ponctuation. Pas de points virgules, s’il vous plait, je n’aime pas ces signes hybrides.
Dans un roman policier, une histoire de ce genre finit par un coup de feu, ou une entente illicite, ou une bagarre, ou un viol, dans un roman de Barbara Cartland, la promise pleure, le fiancé aussi, le lecteur de même, il n’y a que l’éditeur qui rigole, chez Corneille, c’est plus simple, on a étripé le papa, reste plus qu’à s’interroger : Chimène qui l’eut dit, Rodrigue qui l’eut crû, ou vice versa, chez James, ça s’étire, ça s’étire mais le miracle provient de ce que l’on se surprend à tourner les pages avec gourmandise, il est vrai que les feuillets de la Pléiade sont des ailes d’oiseau, on ralentit pour ne pas amputer trop rapidement son plaisir.
Les nouvelles de James sont en général assez longues, 70 pages en moyenne (une nouvelle de Tchekov fait deux ou trois pages, parfois moins), elles sont divisées en morceaux, 6 parties pour La Confession de Guest, on a le temps de s’intéresser au décor, aux personnages, à l’auteur, à sa vie. On peut se dire par exemple qu’Henry James, né en 1843 et mort en 1916, est le contemporain de Maupassant (1850/1893) à une syphilis près et de Tchekhov (1860/1904) à une maladie de cœur près et si ses analyses psychologiques sont plus fouillées, il n’a pas la sensualité du premier et l’humour du second, heureusement car on n’aurait pas eu besoin de lui et constatant alors la mort prématurée de ces deux-là, on peut se lamenter sur les œuvres de maturité que l’humanité a perdues.
Une nouvelle d’Henry James (je veux parler de ses premières nouvelles, je lis dans l’ordre chronologique) n’est pas un choc ou un événement brutal, c’est une portion de temps, prise parfois dans une phase de dramaturgie aiguë. Ainsi La confession de Guest est empreinte d’un caractère tumultueux au sein de ce qui aurait dû être une relaxante cure thermale.
Nous sommes aux USA, dans une ville d’eaux, on ne s’y fait pas, on se croirait plutôt dans un de ces lieux surannés d’Europe centrale un machin comme Karlsbad, par exemple (art déco et tables de jeux à gogo) où, au XIXème siècle, toutes les aristocraties allaient prendre des bains. J’ai oublié de dire qu’Henry James, l’Américain, est un grand voyageur et un amoureux de l’Europe au point qu’à la fin de sa vie il demandât et obtint la nationalité britannique. Aujourd’hui les voyageurs (ceux qui voyagent dans le but de voyager) font le contraire, ils ne s’intéressent absolument pas à ce qui existe en Europe, voudraient se faire naturaliser Américains et prennent des avions pour aller se goinfrer aux Etats-Unis de sandwichs et de donuts, alors qu’ils peuvent en trouver chez eux sur le pas de leur porte. Je veux dire des monuments et des donuts aussi.
Dans La Confession de Guest, les Américains sont reconnaissables sous deux espèces, d’un côté, le Wasp, type Nord-Est (Boston et les environs), l’oisif donc et son demi-frère, cousus d’or et ruisselants de dédain envers les prolos, on peut y ajouter Guest qui fait partie de la même souche et de l’autre, un cow-boy à chemise à carreaux, ayant fait fortune dans le middle-west (La Confession de Guest date de 1872, la ruée vers le far-west et la Californie n’étaient pas encore entrées dans la légende) grâce à sa mine d’argent et à sa mine d’aventurier, cow-boy qui tente de séduire dans une intrigue annexe une amie de l’héroïne, une certaine Mrs Beck, elle-même plutôt intéressée par le sieur Guest, mais je ne vais pas recommencer. J’allais oublier une troisième espèce d’homme, les noirs, mais on n’en voit jamais vu qu’on ne visite ni les cuisines, ni les arrière-cours et qu’ils ne fréquentaient guère, je veux dire en tant que clients, les villes d’eaux. Malgré la guerre de sécession le problème noir n’avait pas encore chagriné ce bon Henry James.
Ces gens sont tellement sérieux que l’on a tendance à se les représenter bedonnants et rubiconds pour les hommes, en dentelles et robes noires pour les femmes, alors qu’ils sont comme nous, enfin je me comprends.
Henry James quant à lui avait plutôt l’air d’un notaire prospère, il était le frère cadet de William James, philosophe de grande réputation (il devait être assez difficile dans cette famille de parler tranquillement de football vu qu’il n’existait pas encore) avec qui, à la vérité, il s’entendait fort mal, il me revient que Deleuze plein d’admiration pour William et pour Henry aussi, pour les deux frères en fait, énonçait que l’on aurait pu étudier l’œuvre d’Henry James à la lumière de celle de William James ou celle de Williams à la lumière de celle d’Henry.
Et moi j’arrête ici ce machin tout décousu.
 
 Le portrait:  William McGregor Paxton

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