mardi 10 janvier 2012

DEUX ANGLAISES CUL SERRÉ




 
UN ÉPISODE INTERNATIONAL

 



 
Eté 1874 : deux types descendent du Russia, un transatlantique sans doute à voile et à vapeur de la ligne Cunard, et s’installent à New-York pour une visite touristique.
Ce sont deux jeunes anglais, dont un noble, lord Lambeth, huppé et plein aux as, pour l’instant marquis et promis à la destinée de duc de Bayswater lorsque son Bayswater de père cassera sa pipe. Lord Lambeth est accompagné par un roturier du nom de Percy Beaumont qui le chaperonne car le lord est un brave type plutôt naïf, en âge de se marier, et il n’est pas question de l’abandonner à la convoitise de quelque américaine charmante ou même riche mais manquant considérablement de quartiers de noblesse.
Et de fait, sur recommandation d’un Anglais ayant déjà fait un séjour à New-York, les deux hommes rencontrent un nommé Mr. Westgate, un businessman à l’américaine, travaillant comme un dératé (avocat ou banquier on ne sait pas trop), ayant tout juste le temps de pisser, qui les expédie chaleureusement à Newport, au bord de la mer, où sa femme Kitty et sa belle-sœur Bessie passent l’été à l’abri des miasmes new-yorkais, dans une villa luxueuse où elles boivent du thé et lisent des livres tandis que le vent du large fouette leurs cheveux. Bien entendu ces deux sœurs sont à croquer, sinon il n’y aurait pas de nouvelle, et elles reçoivent magnifiquement leurs invités. Quel imbécile ce Westgate, quel risque il prend, s’abrutir au travail alors qu’il a sous la main une si jolie femme et qu’il pourrait même fantasmer sur sa belle-sœur tout en regardant, un whisky à la main, les vagues de l’océan taper sur la grève. Crois-moi, Westgate, tu t’en sors bien, si j’avais écrit cette nouvelle, comment que je te l’aurais soutiré ta Kitty, il n’y a pas que le boulot dans la vie !
Je me vois bien écrire la façon dont je l’aurais débarrassé de sa robe légère la Kitty, comment je me serais jeté sur elle, lui ôtant avec les dents ses jupons et ses dessous, aussi goulûment que je me jette sur le foie de veau. Mais du calme ! Je ne suis que lecteur, je ne peux guère franchir cet espace qui me sépare d’un auteur en me tapant ses héroïnes.
Le séjour des deux hommes est paradisiaque. Mais Percy Beaumont se rend compte que Bessie, la célibataire donc, a tapé dans l’œil du lord, qu’elle ne cesse de l’interroger en mijaurant, croit-il, sur la vie en Angleterre, Londres, les bals de la noblesse, les écrivains anglais, la vie culturelle, les monuments, etc., en bref qu’elle devient dangereuse pour le futur nuptial de lord Lambeth.
Elle a beau faire partie du gratin Bostonien, la petite Bessie ne vaut pas un clou, eu égard aux titres de noblesse du lord. Percy fait donc écrire un message par madame mère, la duchesse de Bayswater, herself, sommant le lord de rentrer aussitôt à Londres, son père étant au plus mal. Celui-ci se portant aussi bien que la tour de Londres, on s’en doute.
Maintenant c’est aux deux sœurs de se rendre à Londres. Quelques mois après.
Après un passage par Bond Street et Regent Street, elles descendent à l’hôtel Jones et s’apprêtent à profiter de la vie londonienne. Kitty avertit sa sœur qu’il est inutile de chercher à revoir lord Lambeth (qui les a pourtant invités à le rencontrer si d’aventure elles venaient en Angleterre), car ce qu’il représente à Londres, sa famille, ses relations, l’air pincé de la société, lui feront regarder de haut les deux petites Américaines. Le charmant garçon que nous avons rencontré à Newport, loin de ses bases, n’est sans doute, dans son environnement coutumier, qu’un con prétentieux et snob, lui dit-elle par le biais de la plume d’Henry James, légèrement retouchée par la mienne, puisque je suis en train de lire, je ne crois pas l’avoir encore précisé, un Episode international du susdit, comme tous les Anglais, ajoute-t-elle, de son rire charmant.
Or lord Lambeth apprenant le séjour à Londres des deux Américaines, les rencontre, leur reproche de ne lui avoir rien dit de leur visite, et leur fait découvrir tous les lieux huppés de la ville, en se montrant charmant, plein de prévenances, tel qu’il était à Newport et même énamouré de Bessie, semble-t-il.
Mais voilà, lui c’est lui, et maman c’est maman, la duchesse de Bayswater apprenant que son fils invite les Américaines dans son château de Branches (attention ce n’est pas une hutte de branchages, c’est le nom du château, d’ailleurs Henry James, s’amuse à attribuer, une fois n’est pas coutume, sans doute veut-il imiter Trollope ou Dickens, des patronymes assez singuliers à ses personnages) vient les rencontrer à leur hôtel, en compagnie de sa fille, lady Pimlico (du nom d’un quartier de Londres, voir la parenthèse au-dessus), aussi cul serré que sa mère. Toutes les deux se montrent désagréables.
Ceux qui liront Un Episode international connaîtront la fin.
J’engage le maximum de lecteurs à s’intéresser aux Nouvelles d’Henry James, qui sont succulentes, plus vives que ses romans (parfois indigestes, à mon goût, hein !), comme par exemple des petits fours sont plus agréables que les gâteaux qu’ils reproduisent en minuscule.
Mais l’intrigue au fond n’est pas l’essentiel.
L’essentiel est le travail étonnant de cet écrivain, partageant sa nouvelle en deux parties, avec effet de balancier : deux Anglais découvrent d’abord le nouveau monde, puis deux Américaines visitent le vieux. C’est l’occasion pour Henry James de porter un regard lucide, parfois critique, sur deux pays qui sont les siens, et qu’il aime puisqu’il est Américain et se fera naturaliser Anglais à la fin de sa vie.
Le lecteur, moi en tout cas, découvre avec délectation, comme au travers d’un livre d’histoire, le New-York de 1874, (Broadway, la cinquième avenue, les hôtels, etc.) dans son état de chantier en cours et le Londres de la même époque, ses monuments, ses jardins, ses nobles et son thé.
Prochaine gare La Pension Beaurepas.
Je me demande si, entre temps, je ne vais pas établir des correspondances de lecture avec les nouvelles de Guy de Maupassant. Je vais voir, je vais voir, je fais ce que je veux avec la littérature !

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Et aussi:
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