mardi 17 janvier 2012

UNE LIBERTÉ QUI MARCHE DROIT


DES TRUFFES SOUS L’HUMUS ?
 
LE VOLONTAIRE
 

 
Dans mes lectures hasardeuses on peut retenir en gros quatre catégories de livres :
Les introuvables illisibles.
Les introuvables lisibles.
Les trouvables illisibles.
Les trouvables lisibles.
Le Volontaire de Pierre Frondaie correspond à une sous catégorie, ou plutôt à un croisement de catégories, il est introuvable lisible dans les premières pages et introuvable illisible pour le reste. Pierre Frondaie, ai-je besoin de le rappeler, est l’inoubliable auteur, pourtant fort oublié aujourd’hui, de L’Homme à l’Hispano. Romancier prolixe et adulé, il était, en homme, l’Amélie Nothomb de l’entre-deux guerres littéraire.
Je ne m’inflige pas de punition en lisant des livres illisibles, je tente seulement de découvrir des pans de lisible au travers de l’illisible, c’est souvent peine perdue, mais sous la couche d’humus dorment parfois quelque truffes qu’il eut été dommage de ne pas cueillir. Lire n’est pas autre chose que chercher des truffes.
Et il y avait une truffe dans ce Volontaire.
Je l’ai donc commencé avec appétit, la truffe étant que l’action se déroule en Italie en 1937 et 1938 dans un milieu ultra fasciste au moment où Mussolini, sur son balcon, le menton en avant, l’air féroce d’un matamore de comédie, et ses lieutenants à plumes sur la tête, rangés autour de lui, mauvais comme des aigrettes aigries, galvanisaient les jeunes chemises noires pour les enrôler dans le corps expéditionnaire formé pour prêter main forte à l’admirable entreprise d’assassinat que Franco mena durant la guerre d’Espagne.
J’étais d’autant plus intéressé par l’histoire que le roman a été écrit, d’après son auteur, de septembre 1937 à avril 1938 et que le livre (paru chez Plon) est sorti des presses de l’imprimeur en 1938.
Que pensait un romancier célèbre (en 1938 et non pas une fois passés les événements) de la guerre d’Espagne et de l’engagement des dictatures auprès de Franco ? Voilà ce qui m’intéressait. Le Volontaire conte l’histoire d’un jeune homme, Giacomo Mazzuccato, un fanatique mussolinien, ayant déjà un passé exemplaire de militant, qui, devant son père, Amilcar Mazzuccato, authentique héros fasciste bardé de médailles, refuse de s’engager à la grande surprise de celui-ci. C’est le début du roman et presque la fin pour moi.
Le débat que j’attendais entre violence et pacifisme en 1938, entre héroïsme et pusillanimité, entre liberté et asservissement, entre démocratie et dictature n’aura pas lieu, Pierre Frondaie s’en fout, il y substitue un classique triangle amoureux à la Phèdre. Giacomo est tombé amoureux de sa belle-mère, la nouvelle et jeune épouse de son père Amilcare et c’est pour cette raison qu’il ne veut pas s’engager. Ayant lu cette histoire de belle-mère maintes fois, sorte de recette d’un auteur en mal d’inspiration (le Phèdre de Racine, sommet littéraire, ayant définitivement tué ce genre de situation), connaissant d’une part comment s’est finie la guerre d’Espagne et me foutant comme de ma première chemise de savoir ce qui allait se passer, à la fin, entre Giacomo, son père Amilcar et l’épouse et belle-mère Lorenza, je me suis découragé au point d’abandonner le roman à un peu plus de sa moitié (de la moitié du roman pas de la moitié d’Amilcar, qu’était-il allé épouser une jeunesse ce vieux barbon héroïque ?). En général ce genre d’histoire finit mal, mais que dire alors du dénouement de la guerre civile en Espagne et de la pantalonnade mussolinienne ?
Je me suis donc replié sur la préface, une auto préface puisqu’elle est l’œuvre de Pierre Frondaie lui-même, qui au fond est la partie la plus intéressante du Volontaire puisqu’elle traite, elle, du problème de la liberté. C’est une préface assez digne, ménageant la chèvre et le chou et je ne veux guère narquoiser ou pire juger et condamner, qu’aurais-je fait ou écrit moi-même à cette époque ? Qu’on me permette toutefois de constater qu’il a le cul entre deux chaises, le Frondaie.
Je puis tout de même relever quelques expressions, assez laides, de l’auteur disant aimer avec passion la liberté mais osant un :
" Elle (la liberté) se livre aux politiciens et travaille sous leur surveillance. Elle se donne, se vend aux métèques "
Un autre aujourd’hui aurait parlé de la racaille.
Il faut les comprendre, lui comme l’autre, s’expriment devant une France partagée en deux, sur la question de la liberté et de l’identité des citoyens, ils craignent de perdre une moitié de leur public, cela vaut bien de glisser une petite ignominie dans leur discours.
Et il y a encore ceci :
" La jeunesse française est forte. Elle s’attriste seulement de reprocher à ses aînés les entrechats d’une liberté si belle quand elle marchait droit. Alors cette porteuse de lumière ne titubait pas, saoule d’elle-même. La jeunesse française ne désespère pas de lui rendre sa dignité, momentanément égarée. "
J’ai peur de comprendre ces allusions, en tout cas je n’aimerais pas vivre sous une liberté qui marche droit, je la préfère un peu saoule d’elle-même.
Mais je ne voudrais pas non plus faire mon petit Saint-Just.
 Tableau: Rouault
 
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