mercredi 1 février 2012

LA CULOTTE DE DAGOBERT

LE MAGOT DE LA SAINTE FAMILLE
 
LA ROSE DE HILDESHEIM OU LES TRÉSORS DES ROIS MAGES
 

 
Ilse est une somptueuse jeune fille que rêvent de croquer tous les galants d’alentour. Sans doute blonde puisqu’elle habite Hildesheim, à deux pas de Hanovre, et, c’est bien connu, toutes les Allemandes sont blondes, comme les Espagnoles sont brunes, les Italiennes pulpeuses et les oranges orange.
Son cousin, un certain Egon, étudiant à Heidelberg tombe amoureux d’elle et elle n’y crache pas dessus non plus, ce qui est une façon de parler assez usitée dans l’Allemagne de la fin du XVIIIème siècle.
Papa veille. Il ne la lâchera pas comme ça, une belle fille de cette élévation vaut son pesant de sous, alors Egon doit montrer sa fortune et être susceptible de présenter un compte d’exploitation prévisionnel rutilant, avec avenir glorieux, lendemains chantants et plein de bon argent.
Sinon, rien mon vieux ! Tu la remets dans ta culotte.
Cette Rose de Hildesheim ou les Trésors des rois mages est tirée d’un recueil de nouvelles intitulé l’Hérésiarque et Cie dans lequel Apollinaire remet d’aplomb, à sa façon, et sans imprimatur, les enseignements et dogmes de l’Eglise.
Ce pauvre Egon se met donc à rêver aux moyens de faire fortune s’il veut posséder Ilse, hélas ! seuls les ultra libéraux sont capables de nous faire croire qu’on peut faire fortune, du jour au lendemain, en partant de rien, ah ! ils sont forts ceux-là. Entendant l’évangile de St. Mathieu un dimanche de janvier, Egon apprend que de pieux personnages, des rois, s’appelant Gaspard, Balthazar et Melchior, ayant franchi, à dos de chameau, des montagnes, des déserts, des fleuves, sont venus, dans leur grand manteau de lumière, voir Jésus dans sa crèche, les bras chargés de cadeaux et notamment d’or, d’encens et de myrrhe. Peut-être en reste-t-il quelque chose, se dit Egon ? Bon, l’encens et la myrrhe, envolés, ça normal, d’ailleurs il s’en fout, l’encens ne sent pas très bon et la myrrhe ne se boit pas, et puis on ne sait même pas ce que c’est. Mais l’or, bon Dieu ! L’or où est-il ? On n’a jamais entendu dire que la sainte famille y roulait dessus, Joseph et Marie l’ont sans doute planqué quelque part et ils ont dû oublier où ils l’avaient mis, peut-être même se sentirent-ils gênés, avec un fils qui faisait des siennes (mais d’où venait-il celui-là ?), de le sortir de sa cachette, ce n’était jamais le moment. Bienheureux les pauvres, d’accord, mais hein, hein ! Alors, réfléchit encore Egon, ils sont morts, sont montés au ciel et tout ce qu’on veut mais l’or dort bien quelque part, non ?
Si pour épouser Ilse, Egon devait faire fortune tout de suite, voilà où était la solution, il fallait qu’il parte à la recherche de l’or des Rois mages, cela n’avait rien de déraisonnable, on cherchait bien le Graal alors pourquoi pas cet or.
Egon se mit donc à fouiller toutes les bibliothèques d’Allemagne, fébrilement, maladivement, quêtant le moindre renseignement sur l’or planqué par la sainte famille.
Hélas ! Rien, rien de rien, c’était à devenir fou. Ce qu’il fit.
Un jour un étudiant le rencontra sur le bord du Neckar en train de parler à un bœuf, auquel il tenait à peu près ce langage : " souviens-toi, ton ancêtre se trouvait, ce jour-là, en compagnie d’un âne, de part et d’autre de Jésus, dans une crèche, dis-moi, ne s’est-elle point perpétuée dans ta race, la tradition de Noêl ? Il a bien dû voir quelque chose, soit Joseph planquant son or, ou alors Marie, allons, allons, dis-moi, où est cet or ? ".
Je vois la scène comme si j’y assistais, même si Apollinaire ne la décrit pas, Egon prenant le bœuf par les cornes et le secouant " allons, allons ! ", le bœuf le regardant avec sa tête de bœuf et ses yeux de bœuf : " fais un effort, lui dit encore Egon, oui, je sais, l’âne aussi peut avoir des informations, mais que veux-tu que je demande à un âne ? Tandis qu’à toi ! "
Hélas ! ces énergiques animaux ne savent qu’une réponse : la rauque affirmation germanique. Et d’un coup, Apollinaire tape à la fois sur les doigts de l’Eglise et sur ceux de Allemands, il parlent comme des bœufs, dit-il.
Peut-être Guillaume, peut-être, mais les Allemands vont se venger et durant la grande guerre, ils vont t’envoyer un bout d’obus dans le caisson, et tu finiras par en mourir, on peut déconner avec l’Eglise, tu vois, mais pas avec les Allemands.
Egon en meurt aussi, de folie lui et Ilse le suivit, de désespoir, elle. Fin de l’histoire.
Et moi je pense à cette idée d’une perpétuation des grands mystères de l’humanité, ou plutôt de leur élucidation, des réponses que nous possédons dans nos mémoires, qu’il suffit d’exhumer, qui existent tapies dans nos neurones, cette intuition d’une filiation par l’esprit n’est, à mon avis, pas si fausse. Peut-être ce bœuf savait-il quelque chose, ce qui lui manquait était la parole et l’écriture. Moi, qui n’ai pas la tête d’un bœuf, je suis porteur comme lui, de parcelles de vérités issues du fond des âges, recueillies par mes ancêtres, et arrivées jusqu’à moi par la génétique. En même temps que l’envie de faire l’amour ou de boire, j’ai aussi celle de transmettre et comme je possède l’écriture (ou suis possédé par elle, va-t-en savoir !), je livrerai un jour, après investigation de mon cerveau, ces informations : ainsi d’ores et déjà, je sais, par exemple, où l’on peut trouver encore des éclats du vase de Soissons, je peux répondre aux questions suivantes : Le Chevalier d’Eon avait-il des couilles ? La Joconde était-elle frigide ? Eve avait-elle de gros seins ? On m’a expliqué pourquoi la tour de Pise penche à droite lorsqu’on la regarde d’un côté et à gauche lorsqu’on la regarde de l’autre, pourquoi Platini a manqué un but contre le Brésil, pourquoi le bon roi Dagobert portait sa culotte à l’envers, pourquoi Von Kluck avec toute l’aile droite allemande a viré, trop tôt, sur sa gauche devant Paris, en 1914, je sais tout ça et plein d’autres choses encore et je dirai tout.
Je suis le grand démystificateur.
L’histoire, l’Eglise, la philosophie, la littérature, les arts, n’ont qu’à bien se tenir.
On va rire.
 (Titien)

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