lundi 20 février 2012

LE CLAIRON SONNE LA CHARGE


À MA MORT, JE NE LAISSERAI PAS UNE SEULE BOUTEILLE APRÈS MOI
 
LE SENS DE LA MORT
 
(ÉCHOS D’UNE VIEILLE BIBLIOTHÈQUE)
 
Avec mon mauvais esprit habituel, j’étais sûr qu’il allait trouver un sens à la mort, ce Paul Bourget, surtout à l’intérieur d’un roman écrit en 1915, paru chez Plon en 1916 (93.000 exemplaires tout de même ! cela figure sur la couverture) en pleine grande guerre. De la part d’un écrivain botté et casqué, à la plume effilée comme un sabre de cavalerie, on va avoir droit, m’étais-je dit, à un " champ d’honneur ", à la " mort héroïque ", au " drapeau ensanglanté mais glorieux ", tout ça pour sauver la France, gigantesque escroquerie qui, depuis la nuit des temps, n’a jamais servi qu’à une seule chose, empiler des cadavres pour conserver et conforter l’ordre établi.
Voilà à coup sûr ce que j’allais trouver avec Le Sens de la mort.
Pas tout à fait mais presque.
Un chirurgien parisien hyper célèbre, professeur de surcroît, qui a épousé, à quarante quatre ans, un petit bijou de vingt ans, est en train de mourir d’un cancer et tout en faisant ses interventions chirurgicales sur les blessés expédiés du front en provenance de la bataille de la Marne (qu’on aurait, paraît-il, gagné, mais à quel prix !) qui vient d’avoir eu lieu à quatre vingt kilomètres au nord de Paris, il persuade sa jeune femme, qu’il ne veut pas laisser derrière lui à cause des malfaisants qui n’auraient de cesse de vouloir la sauter, une fois lui disparu, de se suicider en sa compagnie.
Moi, ce sont mes bouteilles que je ne voudrais pas laisser derrière moi. Dieu sait qui les boirait !
Ce qu’entendant par une indiscrétion (les indiscrétions dans les romans sont aussi utiles que du parmesan sur les pâtes), son assistant, un nommé Marsal, horrifié (les veuves ont quand même le droit de baiser, se dit-il), s’emploie à tout faire pour empêcher cette catastrophe. Il a repéré qu’un cousin de Catherine (Catherine est le petit bijou en question), un nommé Ernest Le Gallic (un lieutenant héroïque, catholique et breton, ça va toujours ensemble chez Bourget, sans rien dans la tête, ou avec seulement la patrie dedans ce qui n’est pas mieux) n’est pas insensible au charme d’icelle. D’où jalousie du professeur ! D’où suicide du couple prévu.
Et, justement, il se prend quelque chose dans la tête, l’Ernest en question, une balle (à la guerre comme à la guerre), mais les héros, on le sait, ne sont jamais désespérés, surtout entre les pages d’un livre, ils prennent quelque chose en pleine poire et ils exultent, c’est pour Dieu, disent-ils, ou pour la patrie, ou pour je ne sais pas qui et ils font des yeux extatiques aux couleurs de la ligne bleue des Vosges. Comme par hasard Ernest vient se faire soigner chez Ortègue (c’est le nom du chirurgien célèbre et néanmoins cancéreux) dans le cabinet parisien que celui-ci a transformé en petit hôpital militaire et dans lequel Catherine, sa femme, sert comme infirmière.
Voilà l’histoire installée, je n’en dirai pas plus mais il y aura des morts, la guerre est au moins utile à ça, elle offre des fins commodes aux romanciers.
Il existe un art de romancier chez Bourget (encore heureux !), à l’aide d’une ou deux idées et de trois ou quatre personnages, il sait instiller une tension dramatique tout à fait correcte. Et l’histoire progressant crescendo, on est intéressé à son déroulement et à sa fin, on se hâte avec lenteur, comme lorsqu’on boit un verre de Cognac XO, tel que celui que je tiens dans ma main gauche. Il faut toujours avoir un verre à la main lorsqu’on lit Paul Bourget, sinon on déprime.
Pas d’autres personnages, n’étaient quelques blessés par ci par là, placés pour faire joli, à part Ernest Le Gallic qui a un intérêt dramatique en participant au truc, lui, et du personnel de maison dans les appartements particuliers.
Le personnel de maison est capital dans l’œuvre de Bourget. Paul fait porter aux femmes de chambre un papier, ou le déjeuner, ou une chaufferette, ou un pot de chambre, il leur fait ouvrir une porte, puis la fermer, habiller ou déshabiller leur patronne qui, l’air furieux et capricieux, les rabroue vertement pour le principe, pour maintenir les distances et tout ça (enfin Yvonne, vous me faites mal, voyons ! parce que l’Yvonne en question, originaire de la campagne, avec l’accent paysan qui convient, a trop tiré sur son corset), de belles âmes, superstitieuses et bécasses, toutes (de toute façon les laides âmes, on les fout dehors, allez oust !), qui vouent une admiration sans bornes à leur employeur et un amour sans limite pour sa famille, qui se sacrifient sans cesse, qui savent se tenir à leur place, ne demandant jamais une augmentation de salaire (d’ailleurs l’essentiel de leur salaire est constitué par les marques d’affection que chichement leur donne monsieur, les vêtements usagés, robes, manteaux, culottes et soutiens-gorge que madame leur refile, le sou à Noël, qu’on leur distribue comme le saint sacrement, et tous les soirs une bonne soupe et au lit), et qui vieillissantes touchent leur retraite sous la forme d’un coup de pied au derrière qui les expédie dans leur province d’origine, auprès d’un neveu malade, veuf, imbécile ou alcoolique, afin d'y mourir, avec au cœur cet attachement continu et cette vénération pour leurs maîtres. Bourget est la comtesse de Ségur de la bourgeoise parisienne, me dit un ami, peu charitable, et c’est aussi un écrivain de la domesticité captive.
Par décision des éditeurs, à compter du Ier février 1916, indique un tampon sur la première page, les livres d’ordinaire vendus à 8 fr. seront majorés de 1 fr., sans doute pour soutenir l’effort de guerre, je me suis fait avoir, presque cent ans après, moi l’antimilitariste proclamé, avec mon achat d’occasion, je viens de soutenir la guerre.
Arrière les canons, arrière les mitrailleuses, disait mon ami Aristide.
Le Sens de la mort, oui, le type a essayé de trouver un sens et il y est parvenu. Bien entendu, il y a Dieu dans cette histoire, c’est un comble c’est lui qui, paraît-il, donne du sens à la mort (alors Satan doit donner du sens à la vie, non ?).
Bourget trouve entre autres, à l’appui de son raisonnement, que lorsque quelqu’un se sacrifie pour son prochain et que celui-ci ne le sait même pas, il se passe quand même quelque chose.
Tous les jours, des soldats sont portés disparus, qui se sont fait tuer pour des camarades, et ceux-ci ne l’ont pas su. Le sacrifice n’en a pas moins existé. Il y faut donc le regard de quelqu’un pour valoriser ce geste, l’enregistrer, le porter au crédit, sinon c’est le triomphe de l’inutilité et de l’absurde.
Et ce quelqu’un c’est Dieu. Dixit Bourget. Dieu est le comptable de nos bontés.
Le tour est joué, Dieu est grand, la mort est belle, le ciel est pur, la route est large, le clairon sonne la charge et moi, Bourget, j’encaisse mes droits d’auteur.
Et vive la pépe !

Au pinceau: Bluhm



 
 
 
 
 
 
 

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