lundi 3 novembre 2014

VENDEUR DE CAUCHEMARS


DIX PETITS CONTES



N°II – VENDEUR DE CAUCHEMARS



(Goya)

Nous étions assis devant un verre de bière à la pression, une Estrella Damm, le verre était recouvert de buée et le cafetier avait jeté sur la mousse des petits éclats de glace, elle était excellente, lorsqu’il me dit :
Tu vois ce rideau de fer, en face, l’épicier qui chaque soir le descendait, se fit, un jour, cette réflexion :
« J’en ai une indigestion de vendre des petits pois en boite, du fromage sous cellophane et des yaourts, à une bande de cons qui n’ont aucune considération pour moi, et dont les achats ne me permettent même pas de payer le loyer de cette boutique, je vais changer radicalement la destination de mon fonds de commerce, je vais leur vendre des concepts foireux ».
Plutôt que des concepts foireux, je dirais qu’il se mit à leur vendre de mauvaises idées, la clientèle adore ça, les mauvaises idées, et la France en raffole. Il vendait donc, sous pli cacheté, les plus mauvaises idées possibles : « Faites de la thalasso en Syrie », « Lisez un grand auteur, Zemmour », c’était horrible mais ça marchait, ou encore « Érigez votre propre plug anal sur la place Tian'anmen à Pékin », « Redevenez Sioux aux Usa », « Soyez Noir en Caroline du sud », « Intellectuel au Front national », « Aborigène en Australie » « Rom à Neuilly », bref plus c’était mauvais et indigne, mieux ça marchait.
Et alors ? fis-je en réclamant une autre pression.
Alors, voici ce qu’il advint :
Il avait une superbe épouse qui faisait la joie du quartier, tous les hommes auraient voulu se la taper, elle commençait à se fatiguer de voir son mari s’engraisser en vendant de si mauvaises idées, pourquoi ne ferais-je pas de même se dit-elle, et elle glissa dans un pli cacheté, à l’insu de son époux, l’idée suivante, « Celui qui me débarrassera de mon mari, je l’épouse ». Un jour, on trouva son mari sur le trottoir, un couteau enfoncé entre les omoplates.
Et alors ?
C’était encore une mauvaise idée, pas tant l’assassinat, après tout un épicier de plus ou de moins, non, c’est la récompense qui fut un drame.
Il me montra sur le trottoir d’en face un type, have, claudiquant, le cheveu cassant, le nez coulant, les dents cariés, style Houellebecq, c’est lui l’assassin, tu vois ce qu’elle en a fait.


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